Tout concert est un duel. » Le Così fan tutte de Mozart, dirigé par le célèbre chef d’orchestre Louis Craon à Paris, en est la preuve. Lorsque ce dernier, à la stupéfaction générale, ouvre la soirée par un salut nazi, le narrateur, Sébastien Armant, réagit spontanément : il se lève et lui tourne le dos, devenant en quelques secondes le héros des médias. Cet altiste confirmé entre donc de manière fracassante dans un monde inconnu et bruyant. « Je découvrais cet univers avec jubilation, comme un enfant gourmand enfin admis dans l’arrière-boutique d’un pâtissier », réalise-t-il lors de son premier entretien à la télévision. Mais rapidement, il perd sa naïveté. L’instrumentalisation de son geste, la superficialité de sa célébrité et l’oubli dans lequel il est rapidement relégué lui font réaliser tout le ridicule de sa situation. Sa « vie désormais se découpait en séquences brèves, mobiles, indépendantes, imprévisibles, aléatoirement juxtaposées, dont l’ensemble ne formait aucune mosaïque et semblait dépourvue de sens ».
François Garde s’attarde sur cet univers médiatique impitoyable, reflet ou produit d’un paysage intellectuel singulièrement appauvri. Sébastien Armant n’est plus qu’un vulgaire pion dans un système de communication avilissant, qui le propulse brutalement au côté des footballeurs et autres chanteurs du moment. Sa vie ne lui appartient plus. Manipulé, humilié, il est également la cible d’actes antisémites. « Dans ce monde où j’avais pénétré le 20 avril, nul n’agissait qu’à son profit », comprend peu à peu le musicien. Tout le machiavélisme de sa nouvelle vie publique ne fait qu’augmenter son premier ressenti. « Restait l’effroi. L’effroi inentamé. L’effroi infiniment tu. » Le champ lexical de la stupeur inonde le roman, qui mêle l’outrage artistique à la sidération la plus intime, le scandale médiatique au choc historique. L’Effroi met des mots justes sur ce sentiment très contemporain, qui renvoie au spectateur hagard tapi en chacun de nous, victime passive ou active d’une actualité au mieux médiocre, au pire accablante, jalonnée de constats terribles – « Notre art avait été souillé. »
Camille Cloarec
L’effroi de François Garde
Gallimard, 304 pages, 20 €
Domaine français L' Effroi
novembre 2016 | Le Matricule des Anges n°178
| par
Camille Cloarec
Un livre
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°178
, novembre 2016.