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Égarés, oubliés Courant d’air

mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181 | par Éric Dussert

Grand reporter très respecté d’avant-guerre, Louis Roubaud a été emporté comme il a vécu : toujours ailleurs.

Démons et déments

Louis Roubaud, grand reporter des années 1920-1940, a fait les frais d’une règle non écrite qu’applique drastiquement la postérité : ne pas mourir pendant une guerre si l’on espère atteindre à la notoriété, aussi modeste soit-elle. Et Louis Roubaud, ténor du reportage en France au même titre que Joseph Kessel, Claude Anet, Henri Béraud ou Andrée Viollis, a commis l’impair. Né le 21 août 1884 à Marseille, il est décédé le 13 octobre 1941 à 8 h 30 à Lyon. Son acte de décès précise qu’il était « célibataire, homme de lettres ». Durant l’Occupation, les esprits sont ailleurs, il ne reçoit que cet éloge funèbre du journal qu’il avait contribué à enrichir dans ses longs reportages, longs et très suivis : « Louis Roubaud est mort. (…) Ce Marseillais fut un remarquable journaliste, intelligent, sensible, cultivé, humain./ Grand voyageur, vrai type du journaliste, on le vit en Chine, en Indochine, en Guyane, dans toutes les capitales d’Europe. Son œuvre journalistique est immense et l’égale aux plus grands. Il était de la haute classe des [Jules] Huret, des Albert Londres./ Il avait longtemps collaboré au Petit Parisien. »
Issues du Petit Parisien lui-même, ces lignes du 18 octobre surprennent un peu, même si elles n’avancent rien de faux. Il faut préciser qu’à partir de la seconde moitié des années 1920, Louis Roubaud est une personnalité très en vue, à tel point que la presse rend compte de sa vie personnelle et de ses deuils et annonce qu’il perd un frère le 7 mars 1927 à Grasset, ou sa mère durant l’été 1933.
À l’occasion de la récente réédition par L’Éveilleur de l’enquête de Roubaud au pays des fous, Démons & déments, imprimée dans le magazine Détective entre décembre 1932 et février 1933, la figure de Louis Roubaud s’impose sur les traces de Charles Dickens, de Paul Alexis ou d’Edouard Texcier qui avaient visité en leurs temps ces lieux de désespérance. Naturellement moins touchant qu’André Baillon ou Marc Stéphane relatant leurs propres séjours en asile, Louis Roubaud s’y montre le magnifique journaliste qu’il est : vif, sans emphase, net et, apparemment sans affect. Comme le reconnaît un journaliste d’Algérie mécontent de son analyse de la situation indigène, il a « la réputation méritée d’un journaliste toujours soucieux (…) d’apporter à l’appui de sa thèse des faits plutôt que des impressions personnelles ».
Sa visite à Cayenne, au bagne, montre qu’il pouvait être pris de compassion à l’occasion, en l’occurrence pour un relégué nommé Ulimo qu’il tenta de faire libérer. Ses enquêtes se succèdent à un régime remarquable : ici la bourse, là la prostitution, plus tard le music-hall, la Préfecture de police. « Je suis flic », jubile-t-il en incipit de « 36, quai des orfèvres » : il a déposé une candidature pour être inspecteur de police et il a été retenu… Il mène expéditions et filatures, enquêtes, arrestations, « tout cela est récité vivement » et, naturellement, pour exciter le bourgeois, « Louis Roubaud a visité aussi, en compagnie de M. Martel, les boîtes à misère des quartiers excentriques ». Puis il est retourné à son premier sujet, les maisons de correction où sont maudits les enfants que la société ne sait pas défendre. C’était en 1925 son premier reportage publié sous forme de livre, Les Enfants de Caïn (Les Cahiers verts), cette enquête sur les bagnes d’enfants d’Eysses, d’Amaire, de Belle-Île, de Clermont, de Doullens, etc., obtient un certain retentissement. Il a, dit la presse, « la sobriété, les tableaux succincts, les notations brèves, l’absence de tout commentaire ». Puis comme Londres, Kessel, Mireille Maroger ou Jean-François Louis Merlet, il file voir la Guyane, « pays de l’or et de l’expiation »« La mer y passerait sanas laver la souillure » (Le Voleur et le Sphinx, Grasset, 1926). Viennent ensuite Le Dragon s’éveille (1928), La Chose judiciaire (1930) et ce Viet-Nam, la tragédie indochinoise (1931) dont les treize exécutions capitales d’autochtones décrites dès les premières pages préfigurent le supplice des cent morceaux relaté par Georges Bataille. Ces treize victimes mettent les colonialistes vent debout. Louis Roubaud est un grand journaliste.
Il s’autorise de temps en temps un roman (Christiane de Saïgon) ou des recueils de contes qui lui avaient valu l’amitié de Léon Bloy. L’amitié datait en réalité de l’époque de la revue La Flamme (1910-1913) fondée par Roubaud « aux derniers jours de son adolescence ». Mais c’est le journalisme qui dévora tout entier Louis Roubaud, homme insaisissable qu’un « “à bientôt“ n’a jamais beaucoup engagé ».
Toujours persuadé qu’il ne voyageait pas assez et que « La terre est tellement petite ! », il avait la manie du train de nuit et du paquebot, et se débrouillait toujours pour être en transit. « Un soir, on prend le train à la gare du Nord. On se couche au-dessous d’un monsieur en pyjama violet. Le lendemain, le monsieur a changé de visage, de pyjama et de dialecte. Le restaurant a changé de garçon et de menue. Des douaniers verts, noirs, jaunes, bleus, ont, de temps en temps, soulevé vos chemises et vos chaussettes dans la valise… On roule. Les paysages se succèdent. On longe déjà les bords du lac Baïkal, en Sibérie. Autre douane. Nouveaux voyageurs. Nouveaux garçons. Et, un après-midi, en s’éveillant d’une sieste, on aperçoit par la portière un paysage familier du P[aris]-O[rléans]… La Beauce ! On cherche son indicateur pour s’informer de l’heure d’arrivée à Saint-Pierre-des-Corps… Le train stoppe dans une petite gare de ciment gris : Tchang-Tou-Fou. La Chine ! Et l’on a encore à ses souliers la poussière de la gare du Nord ! Ah ! oui, la terre est petite. » Aux alentours de 1932, il ajoutait : « il n’y a qu’une lumière sur toute la terre, il n’y a partout qu’un même être humain et des sentiments, des passions identiques, à peine déguisées par les costumes ou les mœurs. L’exotisme n’est qu’une surface et j’aurais pu ne jamais voyager… » On peine à y croire… Éric Dussert

Démons & déments, de Louis Roubaud, L’Eveilleur, 176 p., 18

Courant d’air Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°181 , mars 2017.
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