Libraire de profession, à Vichy, Joël Cornuault n’est pas le sédentaire qu’on imagine. Le métier a changé depuis Anatole France et les manières d’être écrivain aussi. Cornuault, lui, a opté pour la polymorphie tout en douceur : à une nature d’observateur et de poète, il a donné l’occasion de se développer en construisant une œuvre dont les facettes se rejoignent harmonieusement à travers ses propres mots et de nombreuses traductions de grands Américains négligés par le commerce éditorial (K. Rexroth, J. Burroughs, A. J. Downing). À l’occasion, c’est sous la forme de l’essai qu’il étudie ses auteurs de prédilection que sont les magistraux Henry David Thoreau et Élisée Reclus. On devine quels sont ses sujets de prédilection…
Diffusant à l’usage de ses proches des Notes de Phénix où il place des « choses ardentes dites paisiblement » – celles que l’on retrouve dans le recueil présent par exemple –, c’est tout la biosphère qu’il examine avec une grande subtilité du point de vue de la nature, des jardins, de l’amour ou des sons. Comme il y a des voyages sentimentaux, Joël Cornuault établit son écologie sentimentale du monde à travers des promenades parisiennes qui n’ont rien de commun avec le sempiternel éloge de la Ville-Lumière et de ses passages couverts. Moins porté à la grande Histoire que Claude Eveno (Lmda N°181), Joël Cornuault est un être dans un lieu qui sent, ressent, se souvient et rêve.
De tempérament flâneur, vous livrez irrégulièrement des chroniques que l’on peut dire sentimentales, lorsqu’elles ne sont pas littéraires. À quel besoin répondent-elles ?
Un besoin d’extériorisation, qui n’est pas tellement différent, somme toute, de celui d’un petit enfant. Il vient de voir son premier hérisson dans l’herbe ou un splendide papillon. Il dit à sa mère ou à son frère : « Viens voir, viens voir ! » Il veut à tout prix partager sa découverte et redoubler par là son émotion. Celle-ci est liée pour moi à l’expérience de tout ce qui constitue le monde extérieur. De la nature, mais aussi de la société. J’y inclus la littérature. Des œuvres dont on ne parle jamais, qui n’ont jamais été traduites. J’ai consacré il y a quelque temps une des chroniques dont vous parlez à John Thelwall, un sans-culotte anglais dont personne n’avait traduit une ligne en français. Un pré-romantique inconnu des bataillons universitaires.
Votre recueil présent évoque la Capitale de vos années de jeunesse. L’attrait de la ville est-il toujours aussi fort ?
Il existe peu de littérature et de représentations en général du quartier de La Chapelle où j’ai passé mon enfance et mon adolescence. Malgré Dabit, Eluard, voire Delteil, qui l’ont habité. Ce quartier n’a pas eu son Calet ni son Yonnet. Je n’aurais pas écrit Le Sentiment des rues sinon. Par ailleurs, une certaine « naturomanie » a envahi le débat public. Thoreau est l’un de ses otages les plus récents, comme j’ai voulu le dire dans Thoreau, dandy crotté. J’apprécie les...
Entretiens Canivaux et autres urbanités
mai 2017 | Le Matricule des Anges n°183
| par
Éric Dussert
Libraire de son état, Joël Cornuault a une nature de chroniqueur. Sur les traces de son passé, visite d’un territoire urbain.
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