La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Histoire littéraire La révolte selon Zamiatine

mai 2017 | Le Matricule des Anges n°183 | par Thierry Guinhut

Nous ou le bonheur terrible de l’État Unitaire magnifié dans une nouvelle traduction.

Orwell et Huxley auraient-ils écrit 1984 et Le Meilleur des mondes, si l’auteur de Nous n’avait pas existé ? À lui seul le Russe Evgueni Zamiatine a inventé un genre romanesque, quoique dans la tradition de l’apologue : l’anti-utopie. Partisan trop enthousiaste de la révolution bolchevique de 1917, il a vite déchanté : dès 1920 il tirait les leçons indispensables, en écrivant un roman apparemment bien éloigné de son temps, puisque censé voir se dérouler son action en un futur lointain, six siècles en avant, donc relever de la science-fiction.
Sans guère de bruit, la première édition française, Nous autres, parut chez Gallimard en 1929, sous les doigts de Cauvet-Duhamel, s’inspirant d’une version anglaise. Elle fut rééditée en 1971 avec une préface de Jorge Semprún. Outre le titre, plus conforme à l’original, jamais édité en sa langue du vivant de l’auteur, l’on est frappé en cette nouvelle traduction par de réelles beautés, venues du texte russe établi en 1988. Le présent de narration remplace le passé, la formule plus judicieuse « contrainte idéale », remplace le « manque idéal de liberté ». En ce journal aux quarante « Notes », dédié aux « lecteurs planétaires », l’écriture est entrechoquée, plus étonnement métaphorique, elle gagne en intensité à mesure qu’elle passe du monde mathématique à celui de la liberté, comme en un cubisme coloré.
Outre un « Mur de verre », pour se protéger de la nature, «  la Science de l’État Unitaire » a construit, grâce à Taylor, le « bonheur mathématiquement infaillible pour tous  » ; où « être original, c’est enfreindre l’égalité ». La vie, y compris les « jours sexuels », est programmée par la « lex sexualis » communautaire et les « Tables » du temps commun. Ne restent que deux « heures privatives » par jour. Rien n’est propriété privée, même les enfants. Ceux que leur liberté a condamnés sont exécutés par liquéfaction dans un amphithéâtre, avec le concours d’un poète officiel, de la main du Bienfaiteur même.
Les noms chiffrés des personnages, déshumanisants, viennent, non sans humour, des numéros des pièces de charpente métallique du célèbre brise-glace Alexandre Newsky, pour lequel Zamiatine avait assuré le suivi de chantier. Aussi le héros, D-503, qui est un mathématicien rationaliste parfaitement intégré, se délecte de son métier de constructeur du vaisseau spatial L’Intégrale et d’O-90 à la « bouche rose ». Cependant il se voit soudain bouleversé devant I-330 par le désir et l’éros, par la beauté du monde et l’aspiration à la liberté. Tentant de briser le carcan sociétal en devenant un individu, il a « développé une âme » ! Jusqu’à ce qu’il soit brisé à son tour… La raison scientifique et politique exécute l’ablation de l’imagination du pauvre héros consentant, tandis qu’il voit sans état d’âme la « Cloche  » torturer sa bien-aimée. Orwell n’oubliera pas ces scènes, pour en proposer une puissante réécriture et variation dans son 1984.
De cet univers parfait, Zamiatine a rendu un tableau solaire, effarant, au rythme haletant, intensément lyrique et tragique, grâce à une « maternité clandestine », une révolte éphémère des Méphis, ces « ennemis du bonheur »…
On ne s’étonnera pas que, poursuivi par le régime stalinien, Zamiatine, méconnu, meure à Paris en 1937. Son échec est le miroir du destin de son personnage. C’est avec un amer plaisir que nous lisons et relisons, en une version plus fidèle à l’original, « un infect pamphlet contre le socialisme », selon l’Encyclopédie littéraire soviétique en 1931. Un tel jugement ne peut que donner une furieuse envie, non seulement aux tristes contemporains éclairés de Staline, mais à notre temps, en rien immunisé contre les prometteurs totalitarismes, de méditer un ouvrage prémonitoire qu’il est urgent de réhabiliter en son génie.

Thierry Guinhut

Nous, d’Evgueni Zamiatine
Traduit du russe par Hélène Henry,
Actes Sud, 352 pages, 21

La révolte selon Zamiatine Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°183 , mai 2017.
LMDA papier n°183
6,50 
LMDA PDF n°183
4,00