Le potentiel comique de Robert Benchley (1889-1945) n’est plus à démontrer. Ces quinze nouvelles, savoureuses et détonantes, sont là pour le prouver. Rassemblées autour du thème de la paternité, elles déroulent des histoires tantôt dérisoires, tantôt sérieuses qui se jouent des différentes méthodes d’éducation. Les principes selon lesquels l’enfant serait roi, et ses bêtises l’expression de son individualité la plus profonde, sont régulièrement moqués. « Il se révéla impossible de faire comprendre à Mme Hemming que réprimander Junior reviendrait à écraser sa sacro-sainte individualité », s’indigne ce père, frustré par le comportement dictatorial de l’institutrice de son fils. Les conversations abêtissantes, telles que « c’est qui qui fait meuh-meuh ? », tout comme le comportement hyper protecteur de certains parents alimentent également la satire du narrateur. Les Enfants, pour quoi faire ? est donc un anti-manuel d’éducation, qui se nourrit des modèles du genre, tout en offrant une proposition pédagogique rafraîchissante : celle de la comédie.
Les techniques employées par Benchley sont variées. Le jeu des questions/réponses (« Lequel des parents doit se lever pour aller préparer le premier biberon du matin ? » / « Le moins doué pour faire semblant de dormir. »), concis et efficace, en est sans doute l’une des plus hilarantes. L’apparition récurrente de personnages types, comme le gentil oncle Calvin, ou l’insupportable Roger, construit un recueil uni, aux plaisanteries harmonieuses, mais jamais répétitives. L’utilisation des anecdotes, qui parsèment les différentes nouvelles, rappelle la double carrière du prince du New Yorker, qui fut l’un des premiers comiques du cinéma parlant. Ainsi en est-il du voyage en train en compagnie de sa progéniture, « expérience qui soutient la comparaison, en termes de plaisir, avec la dévitalisation d’un nerf dentaire », ou encore de la sortie dominicale au musée, durant lequel l’on est assailli de questions indélicates qui nous poussent à mentir.
Parfois, Benchley utilise carrément le ton de la blague, et imagine un État tourné vers les enfants, muni d’une Commission fédérale des bains, et de sous-comités « responsables du ramassage des hochets tombés sur le sol ». Une représentation de théâtre de Guignol qui vire aux batailles sadiques, un récit militaire des camps d’été, des affirmations provocantes : tout est bon pour arriver à ses fins. Cette compilation de moments, de conseils et de moqueries souligne donc gaiement le « chaos » que représente n’importe quelle tentative d’éducation. Le propos est tout à la fois novateur, acide et burlesque. Donc revigorant.
Camille Cloarec
Les Enfants, pour quoi faire ?
de Robert Benchley
Traduit de l’américain par Frédéric Brument, Wombat poche, 128 pages, 6,50 €
Poches Pédagogie du nonsense
juillet 2017 | Le Matricule des Anges n°185
| par
Camille Cloarec
Les Enfants, pour quoi faire ?, un anti-manuel d’éducation, de Robert Benchley.
Un livre
Pédagogie du nonsense
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°185
, juillet 2017.