Joël Baqué, écrivain sans frontières
Imaginons un instant que plusieurs mondes, plusieurs univers coexistent à celui dans lequel nous évoluons. Mettons qu’il y a le monde réel (si réel a un sens) qui serait celui dans lequel nous vivons (si vivre a ce sens-là). En parallèle il y aurait les univers créés par l’imaginaire, mondes ludiques, cinématographiques, oniriques, littéraires. Mondes où l’on s’évade parfois pour ouvrir un peu nos esprits tenus serrés dans le carcan du quotidien. Mais imaginons qu’il existe aussi un monde dont le peuple est celui des mots. Un univers autonome de la langue, de la syntaxe, du lexique. Ce monde-là affleure parfois dans le réel comme ces icebergs détachés de la banquise que des chasseurs d’eau préhistorique vont chercher au large des eaux froides. Si ce monde existe bien, on imagine aisément que c’est de cet univers que vient Joël Baqué, quand Baqué Joël est tout entier requis par le monde réel. Il n’y a qu’à le lire, se laisser prendre dans la fluidité de ses phrases, la manière avec laquelle elles génèrent des images, des trappes par lesquelles c’est un bonheur de tomber. Comment les mots irriguent les pensées vers des horizons insoupçonnés, comment le lexique fait bifurquer le récit au détour d’une virgule, fait apparaître un manchot empereur dans un vide-grenier de Toulon. C’est comme si l’écrivain, habile surfeur de la phrase, savait traverser l’opacité des symboles que sont les mots pour nous faire voir l’univers qu’ils portent en eux. Comme si l’écrivain n’était au final que le fixateur qui vient, sur le papier photo, figer le monde que la langue a révélé. Et qu’il le fasse avec une telle délicatesse, laisse présager qu’on pourra à lire Joël Baqué, toucher à une nature humaine aussi préhistorique que l’eau de la banquise, qui sait ?
On était convenu de laisser les belles naïades profiter de la piscine de l’hôtel niçois où nous avions commencé l’entretien, pour poursuivre l’échange par mails successifs. En effet, pour que les mots de la littérature viennent accompagnés de mouches et de hérons, il ne fallait pas rester à proximité des belles sirènes dorées.
Joël Baqué, vos premiers livres émargent au registre de la poésie même si le tout premier, Angle plat (2002) est écrit en prose. Considérez-vous votre œuvre poétique comme l’antichambre du roman auquel vous vous consacrerez par la suite ?
Trois livres de poésie ont en effet précédé mon premier roman dont j’ai commencé l’écriture « sans préméditation », du jour au lendemain, du fait de circonstances extérieures très personnelles qui m’ont conduit à créer des personnages, à raconter une histoire, choses alors nouvelles pour moi et que je n’avais jamais envisagé de faire. Je continue à écrire des textes relevant du genre poétique ou qui par commodité y sont assimilés, des romans et des textes que j’appelle « transgenres », comme La Mer c’est rien du tout.
Mais comment choisissez-vous d’écrire dans un genre plutôt que dans un autre ? Et la poésie que vous...