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En grande surface Jean dort mais sonne

mars 2018 | Le Matricule des Anges n°191 | par Pierre Mondot

Jean d’Ormesson n’en finit plus de s’éteindre. Après Et moi, je vis toujours, sorti en janvier, on nous prie d’annoncer pour les prochains mois un second texte posthume (Mais depuis hier je tousse un peu). Las, alors qu’il apparaît, avec Gérard de Villiers, comme un des écrivains les mieux représentés dans les maisons de location, on ignore tout de son œuvre. Bêtement, c’est toujours du SAS qu’on s’empare. Mais rien de tel qu’un écrit testamentaire pour combler cette lacune.
L’admiration notoire du disparu pour Chateaubriand laissait présager des Mémoires d’outre-cendre, une autobiographie dans laquelle il assouvirait des rancunes, et dévoilerait les arcanes de la Coupole. Des chewing-gums sous le pupitre de Yourcenar. Des capotes dans celui de Carrère d’Encausse.
Mais non, rien. Le récit débute à la première personne, en une tonalité écolo-proustienne : « Longtemps, j’ai erré dans une forêt obscure. » Mais très vite, l’horizon d’attente s’assombrit : « Rho – il m’appelait Rha, je l’appelais Rho, je n’ai jamais su pourquoi – m’emmenait souvent, le soir, à la chasse avec lui. » Aïe. L’académicien, après quarante années passées Quai de Conti aurait-il sur ses vieux jours éprouvé le besoin de découdre un peu l’uniforme en composant une farce préhistorique ? Ou s’agit-il d’un roman à clés ? Mais qui se cache derrière Rho ? Rouart ? Rahan ? Dutourd ?
Poursuivons. Au deuxième chapitre, le narrateur quitte le monde des cavernes et nous entraîne en Égypte, sur les traces de Moïse et de Ramsès II. Exeunt Rho et Rha. Chapitre troisième, nous voilà à Troie : « Toute la littérature occidentale est fille de l’Iliade et de l’Odyssée ». Vite, cornons la page. Il faut attendre le cinquième pour voir le mystère enfin élucidé, alors que semble s’élever la voix de Julien Lepers : « Tantôt homme, tantôt femme, je suis, vous l’avez déjà deviné, je suis l’espèce humaine et son histoire dans le temps. »
Ainsi, dans son dernier livre – il n’y a pas de petits sujets – Jean d’Ormesson entreprend de nous retracer l’aventure de l’Humanité. Chassant les battements d’ailes du papillon, il glisse son narrateur dans la peau des lampistes du destin, les petites mains à l’œuvre dans l’ombre des grands hommes. L’Histoire écoutée aux portes de l’anecdote.
Le modèle de ce personnage, jamais tout-à-fait-le-même et jamais tout-à-fait-un-autre, se nomme Isaac Laquedem, figure mythique du Juif errant auquel l’auteur avait déjà consacré un ouvrage en 1990 (troisième étagère à droite, maison Beauséjour, demander les clés à l’agence). À en croire la quatrième de couverture, c’est le même livre : « Ses récits les emportent, à travers l’espace et le temps, dans un tourbillon d’aventures où passent (…) Stendhal et Christophe Colomb, des Chinois et des Arabes, le procurateur de Judée… » Albert Barillé, créateur de la série animée Il était une fois… l’Homme, pourrait lui réclamer des droits : l’idée lui était venue bien avant. À chaque siècle, Pierre, Gros et Maestro affrontaient Nabot et Teigneux, délivrant au fil des épisodes, une vision de l’Histoire analogue à celle de l’écrivain : « Vallée de larmes, vallée de roses, je ne fais que changer et je ne change jamais. »
Au cours de cette savante promenade, l’Oncle Jean distribue des sujets de dissertations pour classes de khâgne : « Pascal, c’est Montaigne revu à la lueur des Béatitudes. » (commentez). Établit des palmarès : Churchill et De Gaulle, « les deux plus grands hommes, avec Einstein et Jean-Paul II, de votre foutu XXe siècle » – et Roland Magdane ?). S’emmêle, parfois, avec les expressions du monde moderne : Voltaire « est un lanceur d’alarme (…) » (sic).
Jean Bruno Wladimir François-de-Paule Lefèvre d’Ormesson naquit avec une cuillère en argent dans la bouche. Quelques années plus tard, désireux de compléter sa ménagère, il épousa l’héritière de l’entreprise Béghin-Say. Soit gourmandise, soit mimétisme, il se convertit à son tour au commerce du sucre, côté confiserie. Cet avant-dernier texte possède les vertus d’une friandise. Agréable, sucré, raffiné, sucré, lisse, sucré ; puis oublié si tôt que lu.
Le roman n’a rien d’autobiographique, mais derrière la personnalité protéiforme du narrateur se dessine une permanence peut-être pas si éloignée du tempérament de l’académicien. Envoyé spécial du Figaro au Rwanda en 1994, il pratiquait déjà le tourisme historique : « Partout, dans les villes, dans les villages, dans les collines, dans la forêt et dans les vallées, le long des rives ravissantes du lac Kivu, le sang a coulé à flots – et coule sans doute encore. Ce sont des massacres grandioses dans des paysages sublimes. »
Certains auteurs tueraient père et mère pour un bon mot. L’espiègle Jean d’O. liquide un génocide pour deux allitérations.

Pierre Mondot

Jean dort mais sonne Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°191 , mars 2018.
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