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Domaine français Figures de nuit

juin 2018 | Le Matricule des Anges n°194 | par Richard Blin

Au confluent de l’animalité et de l’humain, Odile Massé nous conte des histoires qui concernent chacun en sa plus noire intimité.

Odile Massé excelle à faire palpiter tous les invisibles dont nous sommes faits, à s’enfoncer dans la chair de la nuit, la mémoire primordiale en quête des émotions originelles et des figures obsédantes qui la hantent. Il suffit d’avoir lu Sortir du trou (L’Atelier contemporain, 2016) ou La Nue du fond qui paraît en même temps que L’Envol du guetteur, pour sentir, éprouver la continuité organique qui associe le présent à la part la plus archaïque de l’être, et dont le rêve – qui est chute nocturne – est le grand révélateur. Elle sait donner voix, Odile Massé, aux ombres qui ont franchi la mémoire des mythes et vivent clandestinement dans le fond sans fond du trou où glisse le temps et où se perdent toutes les raisons. C’est souvent d’une exquise cruauté, d’un raffinement brutal et tout en cohabitations occultes de gestes d’ange et d’élans meurtriers.
Si l’on accepte de la suivre dans ses errances sans délivrance, si l’on veut bien se laisser porter par son écriture à rebrousse-poil qui invite à voir bas, profond, là où la vue ne va jamais, dans le terreau, la terreur ou le terrier de la psyché humaine, alors un délicieux frisson fait vibrer la corde de notre animalité refoulée et donne réalité à ce qui revient de l’origine, plus sauvage que jamais et plus caverneuse que jamais. C’est en ces lointains de l’être où le sexe et le cœur ne se distinguent plus l’un de l’autre que nous plonge L’Envol du guetteur, un texte qui tient de cette tragédie sacrée qui est de tout lieu et de tout temps, et qui est celle de l’impossible amour de l’Homme-fils pour sa Mère. Une tragédie dont ils sont les héros et dont les protagonistes sont des Oiseaux, des Chiens et les Amants de la Mère.
Comme décor, la boutique de la mère, des rues et des jardins publics. Ni dialogue, ni analyse : des faits, des comportements, des actes. Lui, le Fils, le narrateur, vit en constant état d’alerte. Sa mère lui cache sa vie. Il veut savoir ce qu’elle fait, ce qui se trame hors de sa vue, si des hommes pénètrent dans la boutique, pourquoi elle l’exile au jardin, dans sa chambre ou dans les rues à distribuer des tracts. « J’en bourre les boîtes aux lettres, les engrosse et les viole comme des ventres ouverts. » Irrémédiablement seul, il n’a droit à rien : ni au cœur, ni au corps, ni aux mots. Très mal dans son corps « lourd et blanc », il n’est que solitude, souffrance et déréliction. Ses seuls amis sont les arbres et les oiseaux des parcs publics. « Je sais qu’ils m’attendent (…) et qu’ils me guettent. » Il les nourrit, aime retrouver l’émoi joyeux « de tout cela qui siffle, caquette, turlute, babille, trisse et jacte… » Ils sont la liberté du nuage, du vent, et comme eux il aimerait s’envoler, ou, à défaut, avoir une volière comme sa mère a un chenil.
Une mère entièrement chair, entièrement chienne avec « sa bouche aux dents aiguës » et son amour dévorant de la viande. Elle est l’incarnation au sens le plus sacré et le plus trivial du terme. Ce n’est pas un être, c’est une puissance, une idole qui trône derrière son comptoir, rayonnante de mystère, et d’obscure sensualité. « Je voudrais ses gestes, ses pensées, je voudrais que rien d’elle ne puisse m’échapper. » S’abolir en elle ou s’évader en devenant oiseau, mais ne plus la voir au milieu de ses chiens en train de « tâter dans les poils, fourrager sous le ventre et fouiller entre les pattes des chiens ». Il en devient fou, le fils, au point de parfois marcher à quatre pattes. « Je balance la tête et respire la terre, je m’oublie, flaire et fouille – et soudain, me grattant les flancs, découvre que je ressemble aux bêtes qui grognent dans le fond de la maison. » Et plus la mère se montre monstrueuse, plus le fils la trouve désirable. « Je ne la veux qu’à moi, pour toujours. »
Une mère qui tient de la Déesse-Mère de l’origine, des vierges chasseresses, de la sorcière. Car pourquoi égorge-t-elle des poulets dont elle pose, comme en offrande, les pattes et le cou sur le comptoir derrière lequel elle trône ? Pourquoi avale-t-elle les mouches comme les oiseaux ? Au nom de quel rite ? De quelle magie ? De quelle primitivité sacrale ? « Je voudrais voir enfin le rite s’accomplir et savoir comment il s’achève. » La réponse est au bout de la lecture de ce livre porté par le flux inaltéré du désir, tout en irradiations de nuit et inquiétante étrangeté. Un livre où se dit sans se dire l’indicible de l’amour sans réciprocité ni issue.

Richard Blin

Odile Massé, L’Envol du guetteur, dessins de Christine Sefolosha, lecture de Claude Louis-Combet, 162 pages, 25 , et La Nue du fond, dessins de Maike Freess, lecture d’Olivier Apert, 82 pages, 20 , tous deux à l’Atelier contemporain.

Figures de nuit Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°194 , juin 2018.
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