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Domaine étranger Circuit long

juin 2018 | Le Matricule des Anges n°194 | par Éric Dussert

Hanns Zischler a récolté les bouts de papier griffonnés au fil de ses déplacements. Après enquête, il s’approprie leurs histoires.

I wouldn’t start from here : Histoires égarées

Dans un essai à paraître cet été, l’historien des sciences sociales Jean-François Bert s’est posé la question suivante : Comment pense un savant ? Après avoir étudié l’atelier de Marcel Mauss et ses fiches érudites, il s’est penché sur le cas de Rousseau dont la pensée en se forgeant a trouvé un support surprenant à ses notations intempestives : la carte à jouer. La fréquence de ces objets de papier dans l’environnement du XVIIIe siècle était telle que d’autres y avaient tout aussi naturellement recours. Et c’est le cas du fabuliste Le Sage qui y écrivait pour sa part tout et plus encore. Informations acquises, doutes nouveaux, notes intimes, et même, beaucoup plus rare, ses remords. Comme pour s’en délester. Cette hémérothèque (bibliothèque dont le nom désigne les documents éphémères, imprimés fugaces, qu’elle conserve) évoque étonnamment le livre du comédien et écrivain allemand Hanns Zischler dont les Histoires égarées (I Wouldn’t start from here), présentées par Jean-Christophe Bailly propose un cheminement dirigé par le hasard des bouts de papiers perdus qu’il a recueillis dans l’espace public.
Ces pièces de sociologie urbaine évoquent par leur nature fragmentaire les Papiers collés de Georges Perros ou les Microfictions de Robert Walser, mais l’analogie s’arrête là. Enluminée de plans de rues ou de listes de courses, de mots cabalistiques ou de messages clairs mais désormais impersonnels, la collection de Zischler ne pouvait pas constituer une œuvre uniforme. Comédien qui a fait un joli bout de carrière aux côtés de Wim Wenders ou de Godard, il a saisi dans ces débris de notes l’occasion de faire parler ce qui deux fois s’est tu. D’abord quand les signes ont eu bel et bien rempli leur mission informative auprès de leur destinataire, ensuite quand leur soudaine inutilité les a conduits au caniveau où ils ont perdu jusqu’au sens des signes qu’ils portent – à l’exception des quelques lettres rédigées explicitement qui font partie des trouvailles de Zischler. Il n’était pas idiot dans ces conditions de relever ses histoires et ses dessins dans le cadre de la collection « opus incertum » des éditions Macula, comme en un lointain clin d’œil aux films de jeunesse de Peter Greenaway, lequel contait les pérégrinations le long d’un fil rouge sur carte géographique de son savant Tulse Luper. Tout est dans le cheminement.
Habité par l’esprit de l’arte povera, le projet d’accumulation des paperolles de Zischler célèbre des bouts de rues du monde entier dont l’accès nécessite ces vaillants vade-mecum manuels, c’est-à-dire malhabiles et bancals, qui pourraient constituer carte au trésor. Si nous n’aboutissons jamais là où ces petits crobards stylographiés ou crayonnés à la 6-4-2 voudraient nous mener, ils gardent la noblesse du chant de l’humanité urbaine prise sur le vif dans son activité la plus tendre : la rencontre. Et comme des partitions abandonnées au bitume où leur poésie vagabonde a survécu, ils se montrent tenaces comme une plante de chantier ou ces herbes folles qui poussent à travers les failles du béton. Idem leur réserve de fictions dont joue Zischler pour monter ses enquêtes de détective du gribouillis expressif non-explicite. Bien sûr, sans la double intervention de collectionneur des petits papiers malmenés, la magie ne tiendrait pas, de même que l’art des listes mis en œuvre par Christophe Rey dans Claquettes et ornithologie (Héros-limite, 2018) semblerait une redite de projets plus ou moins poétiques qui fleurissent depuis un siècle s’il n’avançait sa propre créativité. Avec l’Allemand, le constat est identique : toute réussite tient à la personnalité du collecteur, à son œil et à ses capacités d’émerveillement et de jeu : on touche là au principe même de la création. Là où beaucoup seraient stérilisés par les pièces elles-mêmes, Hanns Zischler s’évade des contingences, et généreusement, il nous prête ses trésors.

Éric Dussert

I wouldn’t start here (Histoires égarées),
de Hanns Zischler, traduit de l’allemand par Jean Torrent, Macula, 120 pages, 16

Circuit long Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°194 , juin 2018.
LMDA papier n°194
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