C’est l’histoire d’un type en pleine crise. Normale, iI a 20 ans et dans la tête toutes les folies qui vont avec. Il veut tout, tout de suite. À lui l’amour, les frissons, à lui la gloire, la richesse. Mais par quoi commencer ? L’urgence : perdre sa virginité et par la même occasion, plaquer sa famille de prolos italiens échoués aux USA. Il est trois heures du matin, il se gave de filles en papier glacé, gigote comme un diablotin, se maudit : « Si Nietzsche te voyait en ce moment ? » Il blasphème, rejette « l’hypothèse de Dieu », broie du noir : « J’étais alors prêt à me suicider, et sur ces mornes pensées, je me suis endormi. » Hop-là ! Faut quand même pas exagérer. Cet humour bravache, balancé à l’arrache, c’est du Arturo Bandini tout cuit. Mieux qu’un personnage de fiction, narrateur aussi désopilant que mégalo, Bandini est l’âme de John Fante. Bandini, c’est lui, et encore lui. Même hargne, même niaque, et ce, dès La Route de Los Angeles, son premier roman… qui ne sera publié aux USA qu’en 1985, deux après sa mort…
Dans La Route de Los Angeles (comme dans tous ses livres), John Fante ressasse les mêmes histoires, les siennes. Il se met en scène sans vergogne, se raconte au rythme effréné de ses galères, de ses bourdes, de ses espoirs. Il a l’énergie du désespoir. Né en 1909 dans le Colorado, fils de la misère – père maçon, buveur et coureur, mère soumise et bigote –, le jeune Macaroni a le feu aux trousses. Il se rêve en technicolor, sera un vrai Américain, mieux, un écrivain. Sa marque de fabrique : l’autodérision. Dialogue dans un bar : « Tu lis tout le temps, il m’a dit. T’as jamais essayé d’écrire un livre ? – Ça a fait tilt. Dès cet instant, j’ai voulu devenir écrivain. » En deux répliques, John Fante amorce toute une œuvre, des pages de délires, de circonvolutions, de baratin magnifique : « Putain, je me disais, prends ton temps, Bandini. T’as dix ans pour l’écrire ton livre, alors du calme, faut s’aérer, faut sortir et se balader dans les rues et apprendre comment c’est la vie. C’est ça ton problème : tu ne sais rien de la vie. » (in Demande à la poussière) John Fante se moque de lui-même et réussit les épousailles du parler populaire et de l’écriture, du sarcasme et de la clairvoyance. Inflexible, méchant, avec lui comme avec les autres. Le voilà rouspéteur chronique, prince de la mauvaise foi. Le voilà ambitieux et pathétique, grandiloquent et candide. Le voilà ouvrier d’usine, terrassier, chômeur dans une Amérique des années 30 peu tendre avec sa classe ouvrière. Le voilà cruel, lui le fils d’immigrés, avec ses compagnons de déroute, prolos philippins. Et encore sexiste, l’amant éconduit : « Tu ne comprendrais rien. Tu es une femme. » Toute l’Amérique, grandeurs et décadences, coule dans son sang de Rital.
Martine Laval
La Route de Los Angeles, Mon chien stupide, Les Compagnons de la grappe, L’Orgie traduits par Brice Matthieussent) ;
Bandini, Rêves de Bunker Hill, Demande à la poussière (traduits par Philippe Garnier), 10/18
Zoom Bandini, le retour
juillet 2018 | Le Matricule des Anges n°195
| par
Martine Laval
Publiés au mitan des années 80, sept livres de l’auteur de Demande à la poussière réapparaissent en poche. Toujours aussi irrésistible l’Italo-Américain…
Des livres
Bandini, le retour
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°195
, juillet 2018.