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Domaine français Une odeur de détresse

novembre 2018 | Le Matricule des Anges n°198 | par Richard Blin

L’humanité a perdu le goût de la fable. Tragique désillusion dont Esther Tellermann nous distille un récit extrême.

Première version du monde

Étrange, hors du commun, cette Première version du monde signée Esther Tellermann, poète et psychanalyste dont l’œuvre compte désormais une quinzaine de titres depuis Première apparition avec épaisseur (Flammarion, 1986) jusqu’à Éternité à coudre (Unes, 2016). Se situant dans la lignée d’un précédent récit en prose, Une odeur humaine (Farrago/Léo Scheer, 2004), il multiplie les instances énonciatives, se développe sans trame narrative, entremêle situations et commentaires, ce qui l’inscrit dans la tradition des récits poétiques à la Beckett ou à la Blanchot. Un livre où l’infini de la matière du monde se fait parole subjective à travers une pluralité de voix d’individus confrontés aux impasses d’une humanité prisonnière des répétitions de l’Histoire.
Nous vivons dans un monde déchiré par la violence historique et où tout est devenu visible. « Arrête ta diarrhée de bons sentiments, regarde le film de face, aie le courage du bourreau, nous vivons à nouveau une époque du visible. » Un monde où s’est généralisé sur tous les plans, y compris en nous-mêmes, un état de guerre extrême qui trouve, dans l’entrecroisement de la pluralité des voix dont se compose la parole humaine, un lieu parfait pour prospérer. Ces voix, Esther Tellermann les donne à entendre, les module, les mime au fil d’une succession de séquences à caractère théâtral et à visée cathartique. Car c’est pour mieux s’en défaire que ce livre met en scène cette parole proliférante, anarchique, qui non seulement façonne nos représentations mais est le vecteur de toutes les idéologies.
À qui appartiennent-elles ces voix ? À des parleurs anonymes, à des amants, à un « je » féminin ou masculin. Elles s’adressent à des interlocuteurs changeants, à un « vous », à un « tu », au « Docteur », à « Madame ». Jouant entre elles de manière ironique, elles dessinent une Babel de folie où se croisent les paroles de ceux qui confondent la conséquence et la cause, de ceux qui sont pour la paix mondiale mais ont le sentiment d’être attaqués, de ceux qui veulent des paradis éternels, de ceux qui « ne bandent plus », de ceux pour qui « les femmes ne sont qu’un trou », de ceux qui veulent un monde nouveau « fondé sur l’éradication des nègres, des youtres, des hordes de misère », qui « se ceinturent d’explosifs pour s’éclater mieux », ou qui « se découpent pour se séparer mieux ». Sous la paranoïa généralisée dont témoigne cette parole aliénée, aliénante, génératrice de folie et de guerre, ce sont toutes les idéalisations véhiculées par nos idéologies – y compris celles qui se présentent sous couvert de l’esprit et de la culture – qui sont ici stigmatisées, à commencer par celle de l’amour.
En pointant l’excès du mal, et le mal comme excès, ce livre veut faire de cet excès la condition d’un renouveau. À notre « vieille humanité » qui veut des rivières de sang, à cette parole sale, il invite à opposer « des fureurs capables de secourir l’agonie du genre humain, oui, des systèmes plus abstraits abolissant les vaines apparences : distinctions de sexe, de peau ou de fortune ». Il incite à inventer une Renaissance, à réinventer « la foi en la capacité humaine à renoncer à de trop certaines convictions ». Il appelle à revisiter nos façons de voir, à « distinguer les ruines, par exemple, des vestiges, des traces ». Et ce, en récusant la première version du monde, en greffant sur le réel une autre parole, une parole poétique capable de relier « la base et le sommet, l’extase aux préliminaires », et où respirerait de l’inconnu en prise directe avec le souffle du devenir.

Richard Blin

Première version du monde,
d’Esther Tellermann
Éditions Unes, 144 pages, 20

Une odeur de détresse Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°198 , novembre 2018.
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