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Intemporels David Garnett l’enchanteur

mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201 | par Didier Garcia

Dans ce court récit, le romancier britannique (1892-1981) se fait magicien, pour transporter le lecteur dans un autre monde.

femme changée en renard

À en croire l’incipit, « les faits merveilleux ou surnaturels ne sont pas aussi rares que l’on croit ». Et le fait est que six paragraphes après cette déclaration liminaire, qui tient lieu d’avertissement comme de mise en garde, l’histoire bascule dans un univers fantastique, pour ne plus en sortir.
Si on présentait cette histoire à des enfants, on pourrait leur dire à peu près ceci. Il était une fois dans l’Oxfordshire une petite forêt magique. Dans les premiers jours de l’année 1880, Richard Tebrick et sa femme Silvia partent y faire une promenade. Soudain, Silvia pousse un cri, comme si quelque chose venait de lui faire peur. Richard se retourne aussitôt et trouve, à la place de sa femme, « un petit renard d’un rouge très vif ». Aucun doute possible : il s’agit bien de Silvia qui, malgré sa métamorphose, pose sur lui les mêmes regards qu’auparavant. Richard étant encore très amoureux de sa femme, il s’empresse de la ramener dans la demeure conjugale, lui passe sa robe de chambre, lui prépare un thé, des tartines beurrées, et l’entoure de soins, comme à son habitude.
C’est plus ou moins ce que l’on pourrait dire à des enfants – s’il s’agissait d’un livre pour enfants. D’ailleurs, l’histoire ne se termine pas très bien. L’instinct de l’animal s’affirmant chaque jour davantage, le renard commence à regarder fixement la colombe qui se trouve dans une cage, puis à poursuivre les canards près de l’étang. Richard en est inconsolable : « Quand la conduite de la renarde n’était pas celle qu’il aurait attendue de sa femme, il était comme blessé au vif et rien ne pouvait être plus douloureux pour lui que de la voir s’oublier de cette façon. »
Pour elle, il n’est bientôt plus question ni de se laver ni de se parfumer. Un jour, pour la tester, il la laisse en compagnie d’un lapin… dont elle ne fait qu’une bouchée.
Si la métamorphose a été instantanée (il a fallu une fraction de seconde à Silvia pour devenir un renard), c’est une évolution beaucoup plus lente mais inexorable qui lui fait quitter sa nature humaine pour sa nature animale.
Désormais, c’est sous la table qu’elle mange sa viande. Et après la première morsure, il lui rend sa liberté, ce qu’il regrette aussitôt : « Il avait commis une trahison envers elle, et par son acte la condamnait à vivre pour toujours la vie d’un renard sauvage ». Le couple reste quelque temps sans se voir. Lorsque l’animal reparaît, c’est pour entraîner Richard jusqu’à sa tanière, où le mari fait connaissance avec une portée de cinq renardeaux. Jusqu’au drame final, dont on taira la nature exacte, afin de laisser un peu de suspense au lecteur, on le verra vivre seul, passer pour un fou aux yeux de ses rares voisins, et marcher dans les bois ainsi qu’un animal, « plié en deux, presque à quatre pattes, touchant parfois le sol de ses mains ».
David Garnett a publié ce roman, qui était d’ailleurs son premier, en 1922 (sa traduction française date de 1924). Seulement est-ce bien un roman ? Ou plutôt un conte ? Ou plutôt une fable ? Ou un peu tout cela à la fois ? Ce qui est certain, c’est que le plaisir qu’on a à le lire est au-dessus des classifications génériques. On s’amuse de la capacité de Richard à s’adapter à la situation avec une bonne volonté sans faille (il restera amoureux de sa femme jusqu’à la fin, même après s’être senti trompé en découvrant les renardeaux). Sur ce point, il n’est pas exagéré de dire qu’il est héroïque. On sourit du caractère cocasse, et presque grotesque, de certaines scènes. Mais que convient-il de penser d’un tel livre ? Comment interpréter cette métamorphose ? Garnett se garde bien de répondre et de délivrer le moindre message. Pas de morale ici sur laquelle méditer. Il y a cette histoire, et rien d’autre. On ne saura même pas de quoi Silvia a eu peur lorsqu’elle a poussé son cri, juste avant de devenir renard.
Après tout, peu importe. On est sous le charme jusqu’au bout, ravi, emporté et enchanté par cette histoire saugrenue qui ne tient pas debout mais à laquelle on feint de croire. Une histoire qui pourrait très bien n’exister que pour réveiller l’enfant qui sommeille en chaque lecteur. Un enfant qu’à force de lectures sérieuses, auxquelles on s’est efforcé de donner un sens, on a fini par tuer ou faire taire. Un enfant qui, dans ces pages, revient soudain à lui et s’émerveille, comme il le faisait naguère avec les textes de Lewis Carroll, devant cette histoire qui bafoue les règles de la logique et qui l’entraîne dans un univers où la réalité côtoie le rêve.

Didier Garcia

La Femme changée en renard, de David Garnett
traduit de l’anglais par Jane-Simone Bussy et André Maurois
Grasset, « Les Cahiers rouges », 144 pages, 7,20

David Garnett l’enchanteur Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°201 , mars 2019.
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