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Poésie Paysages avec figures

septembre 2019 | Le Matricule des Anges n°206 | par Emmanuel Laugier

Incomparable scrutateur de la mémoire, Leonardo Sinisgalli (1908-1981) rappelle combien il faut payer son enfance d’années de solitude pour dessiner un cercle dont nous parviendrions à sentir le contour.

Dans L’Âge de la lune (2007), Sinisgalli, élégiaque comme Sandro Penna sut l’être, écrivait : « Il reste peu de phrases,/les plus honteuses ont le goût/des ongles dans la bouche./Il reste dans la vie cette chaleur/qui nous suffoque, le temps/insensé entre deux étés  ». On pourrait appliquer à cet ensemble de quasi-poèmes en prose que sont les textes d’Au pas inégal des jours, écrit dans le contrecoup de la mort de sa mère (dès 1943), la même remarque. Nonobstant, peut-être, cette honte, toute disparue ici, il reste bien aux vingt-huit chapitres du livre cette saveur densifiée que la puissance des étés noua à la phrase de Sinisgalli, jusqu’à les tinter, parfois, de cette indéfectible nostalgie de l’enfance. Éclairées par le cycle lunaire, ces vingt-huit stations ne suivent aucune chronologie, elles se distribuent aléatoirement de ses années de jeune homme à celles plus mûres où il est mobilisé en Sardaigne, voire aux multiples retours qu’il fit dans sa ville natale de Montemurro (Basilicate). Il s’y rappelle aussi quelques-unes de ses flâneries… On pourrait égrener les lieux (le tunnel Umberto à Rome, la petite ville de Lagonegro dans le golfe de Policastro, la via Velasca à Milan) sans que jamais, pourtant, ne se dise une acuité sensible qui, toujours portée à la limite d’un fait (parfois prosaïque), se trouve prête à faire exploser la phrase elle-même dans son retard.
C’est bien ce travail entre la remémoration et l’effort syntaxique qui lui donne sa plus juste mesure, jusqu’à pouvoir y loger la tension d’une perception, traits de netteté et de précision égaux à ceux de Carlo Levi ou d’Elio Vittorini. La fidélité à cette attention, qui est le propre de la poésie de Sinisgalli, économe, rêche, sans fioritures, se déploie ici du plus lointain à quelques détails en apparence banals (« je me rappelais la nuque maigre de mon père quand il avait pris la porte, sa voix sourde un peu rauque  »), des masses comme géométrisées d’un paysage (Sinisgalli était ingénieur) à ce quasi plan photographique : « sur le maillot des jeunes filles du premier plan (Sinisgalli décrit une photographie), prêtes à se baigner, droites, croisant leurs bras nus, on lisait clairement l’initiale de leurs prénoms. C’est ainsi que j’ai appris à reconnaître Olga  ».
Ailleurs, la lecture possible du nom, la nomination de l’être ou de la chose, s’absente irrémédiablement. Sinisgalli en relate l’expérience depuis la croyance du bœuf « mélancolique  », rappelant qu’en Italie il n’existerait aucun mot pour dire la tempe de l’animal (dont le bœuf – à l’exception des chiens « qui sont les seuls à dormir couchés sur une joue  »). Mais il est vrai, ajoute-t-il, que le bœuf ne meurt pas d’un coup sur la tempe mais d’une lame bien enfoncée dans la nuque. La leçon donnée par ce simple mot absent n’est là que le revers du choix (faire voir) et du tact de Sinisgalli. Son élégance, dans ses proses, comme dans son extraordinaire journal Horror vacui (1995), sa pudeur autant, n’évitent pas à la brutalité de parfois se dire, mais elle est toujours une traversée haletante, un point, parmi ceux multiples de l’existence, qui va d’un saisissement à sa perte. Le récit d’un vol d’étourneaux à la Porta Pinciana, près de la villa Borghese (qui viendrait « dessiner un très long sillage, et glisser le long du Muro Torto presque au Piazzale Flaminio  » ), en est l’allégorie la plus juste. Ce « ciel (qui) grésillait comme la piste d’un vélodrome  » de « millions de tout petits cyclistes  » vibrionnant selon des plans chevauchés de mouvements millimétrés, Sinisgalli ne put le voir ni le faire voir à ses amis. Le sentiment de dédommagement qu’il ressentit, comment alors le comprendre, sinon par l’incipit de son ultime texte : « je cherchais le jeune garçon qui venait dormir dans l’ombre des feuilles. Il n’a jamais bougé d’ici, il ne s’en est jamais éloigné. Quelle inquiétude aurait pu le détacher de son amour pour ce ciel limpide  ». Emmanuel Laugier

Au pas inégal des jours, de Leonardo Sinisgalli
Traduit de l’italien par Odette Kaan et préfacé par Jean-Yves Masson, La Coopérative, 144 pages, 18

Paysages avec figures Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°206 , septembre 2019.
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