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Domaine français Mère courage

octobre 2019 | Le Matricule des Anges n°207 | par Anthony Dufraisse

Au prisme de la vie d’une femme, Marie Darrieussecq aborde subtilement la question migratoire. Un beau roman du dépassement de soi.

La Mer à l’envers

Extrêmement difficile, ce roman. Pas à lire mais à écrire. C’est Marie Darrieussecq elle-même qui le dit dans l’un des entretiens qu’elle a donnés depuis la sortie du livre. Cinq ans qu’elle le portait et qu’il lui échappait. La trame de fond était bien là – l’envie de parler des migrants d’une façon ou d’une autre – mais la forme faisait défaut, les personnages peinant à s’incarner. L’obstination aidant, le texte a finalement vu le jour, nourri pour partie par une expérience de Marie Darrieussecq à Calais, zone de transit vers l’idéalisée Angleterre, et un voyage au Niger, dans un Niamey devenu capitale des refoulés libyens. La Mer à l’envers, son vingtième livre déjà, est tout d’hésitation, d’oscillation, d’irrésolution et c’est précisément ce qui le rend fort. Marie Darrieussecq aurait-elle signé un livre débordant de bons sentiments sur la situation faite aux migrants ou un roman à thèse déguisé, c’eût été probablement un ratage complet. Sa réussite, c’est au contraire de ne jamais moraliser sous couvert de fiction, ou de culpabiliser le lecteur. En Rose, son personnage principal de psy quadragénaire mère de deux enfants (déjà aperçue dans Il faut beaucoup aimer les hommes), il faut voir, d’abord, c’est la donne de départ, une boussole détraquée. Typiquement CSP + (Conscience Superficiellement Politisée, disons), cette Parisienne est une velléitaire qui ne s’ignore pas. Ce qu’elle ne sait pas, en revanche, c’est s’il s’agit d’un passage à vide ou d’une impasse à vie. Et quand, à la faveur d’une croisière en Méditerranée sur l’un de ces paquebots monstres symbolisant le capitalisme flottant, une boussole déréglée se retrouve au contact d’un ado nigérien rescapé avec « un grand front cabossé », c’est beau, Lautréamont dixit, comme la rencontre fortuite, sur une table de dissection, d’une machine à coudre et d’un parapluie. Younès, c’est le prénom du gamin à qui Rose donne le portable de son propre fils comme on jette à quelqu’un une bouée de sauvetage, Younès, donc, va agir sur elle comme un accélérateur de particules. Les atomes qui forment sa conscience du monde ne seront plus tout à fait les mêmes. « Le problème avec les migrants, c’est combien ils sont angoissants. » Les furtifs échanges avec ces naufragés, des Africains pour l’essentiel, réchappés d’une noyade certaine, cela vous travaille, forcément. « Rose fut soudain prise par l’événement, tous ces enfants mouillés, transis, vivants, arrachés à la mer qui est l’exact équivalent ici de la mort. »
L’intéressant dans l’approche de Marie Darrieussecq, c’est qu’elle refuse de faire basculer aussitôt Rose dans une forme d’engagement, en clair, de l’héroïser. Si des changements s’opèrent en elle, c’est parce que Younès va les provoquer au fur et à mesure, le téléphone portable faisant ici fonction, à répétition, de rouage romanesque. Les appels, les messages relancent la narration quand elle pourrait verser dans une sorte de sociologie de la classe moyenne en mal de repères. Darrieussecq montre très bien, et souvent sur un mode ironique, comment la vie va malgré  : malgré nos petites lâchetés, malgré nos profondes frustrations, et surtout malgré « la grande perturbation qui agite le monde ». Dit autrement, elle montre comment le quotidien nous pousse à la passivité, la lassitude et comment c’est miracle, au fond, que d’en sortir. Non pas pour se donner bonne conscience, ou pas seulement, mais parce que, parfois, quelque chose nous oblige à franchir la ligne rouge, à aller au-delà de ce que l’on se croyait capable de faire (« Le monde perd en certitude et se retourne comme un vieux gant »).
En cela, La Mer à l’envers est un beau roman du dépassement de soi et du franchissement des frontières intérieures. L’effort que chaque jour l’on fait pour ne pas se laisser totalement – tout le roman est dans cet adverbe – submerger par le réel, pour ne pas dériver, pour s’accrocher, telle est, oui, la puissante lame de fond de ce texte – la situation de Younès fonctionnant à la fois comme un miroir et un moteur de ce maintien à flots. À travers le regard narquois de la narratrice sur son existence et sur l’époque (les déceptions de la vie de couple, quitter la capitale pour le Sud-Ouest, les relations enfants-parents…), l’auteure désamorce tout pathos, touchant par moments, comme par effraction, au sublime improbable d’un courage sans calcul mais pas sans question.

Anthony Dufraisse

La Mer à l’envers, de Marie Darrieussecq
P.O.L, 250 pages, 18,50

Mère courage Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°207 , octobre 2019.
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