Vigneronne dans l’Hérault, ancienne journaliste et écrivaine, Catherine Bernard nous offre ici une rêverie autour de l’expression « la part des anges » et de la réalité qu’elle recouvre. Chaque année, un alcool contenu dans une barrique, un fût, une cuve en bois perd 2 % de son volume. On disait que c’était la part que les anges prélevaient, on sait qu’il s’agit d’un échange gazeux qui s’établit à travers la porosité du bois ou de la terre cuite. Le mot « ange » conduit la vigneronne au spirituel mais aussi à évoquer une part manquante : celle du vin, celle des hommes : « cette perte donne au vin son supplément d’âme, de la même manière que l’on se construit aussi avec ce qui nous a manqué, et ce n’est pas forcément la plus mauvaise part de nous-même. » Le vin convoque aussi la mémoire et le temps : la plante hermaphrodite a su traverser les millénaires, et celui qui boit son jus retrouve parfois une mémoire plus ancienne que lui : « Finalement ce qui nous touche dans un vin, ce qui nous parle advient par soustraction. Car sans ce manque, (…) le vin n’aurait ni la même grâce, ni la même aisance à nous transporter, à nous élever. » Il y a dans ce petit livre de bien belles pages, nourries à la littérature (Stendhal, Virgile, Verne…), aux sciences, à la philosophie et à l’intime. Parlant de l’âme, elle cite le grand ampélographe Pierre Galet qui vient de nous quitter. Il se peut qu’il soit pour longtemps encore dans chaque vin qu’on partagera avec joie. Si toutefois on préserve la vigne de la catastrophe écologique qui s’annonce. Et dont, pauvres fous, nous serons responsables.
T. G.
Ma part des anges, de Catherine Bernard
Les Ateliers d’Argol,
80 pages, 15 €
Domaine français
janvier 2020 | Le Matricule des Anges n°209
| par
Thierry Guichard
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°209
, janvier 2020.