À lire le titre du nouveau livre de Nathalie Quintane, on imaginait une critique bien sentie de l’Éducation nationale. On se réjouissait et on redoutait ce que l’auteure de Chaussure et de Tomates, l’auteure de Que faire des classes moyennes ? et d’Ultra-Proust pouvait dire de son milieu professionnel. Mais non, Les Enfants vont bien ne parle pas d’élèves, de profs ou de parents ni de dérives managériales de l’enseignement secondaire, ni de l’ère Blanquer. Les Enfants vont bien ne parle pas vraiment d’ailleurs, c’est un livre dont Quintane, étonnamment, nouvellement, semble se retirer, laissant la place aux paroles des autres. Le procédé est annoncé d’emblée : pour parler des réfugiés « (des « migrants » comme on dit) » en France, l’écrivaine assemblera des lambeaux de discours politiques, administratifs, médiatiques, associatifs, individuels, à raison d’un bloc de parole (de deux mots à quelques lignes) par page dans une typographie particulière (les politiques en haut en gros, les paroles de bénévoles en petit en italique en bas, les journaux en gras etc.).
Ce montage instaure un rythme de lecture rapide ; on lit des fragments de poèmes qui n’en sont pas, on fait tourner un livre d’images et cela crée un flux, un drôle de film. Le détourage des discours dans lesquels on baigne est saisissant : sans indication de date ni transition se succèdent et se télescopent des déclarations des différents acteurs (comme on dit) de la situation des demandeurs d’asile, membres des CAO, juges, juristes, présidents, journalistes, etc. Nathalie Quintane ne garde que l’écume des discours, acronymes, chiffres, formules, notations. Manière de se retirer, comme la vague, et de faire apparaître le sens et le non-sens des mots. Quand « fermeté » et « solidarité » riment dans la même phrase, c’est l’alliance des contraires, quand il est question de « sécuriser le prononcé des décisions d’éloignement » ou de « l’embolisation de l’ensemble des dispositifs » c’est l’humanité déniée à des personnes réelles qui est reversée sur des processus. Là où les bénévoles des centres d’accueil proposent moult « activités », des journalistes invitent le lecteur « sur les pas des migrants, dans la neige, par – 14°C ». Manière de faire résonner des discours qu’on n’entend plus, manière aussi de faire ressortir les creux par contraste, le vide sous le plein, les euphémismes des « mesures d’éloignement » – les ellipses, innombrables.
À côté de ces phrases bruissent ainsi les mots qui manquent, mots qu’il faudrait dire pour accueillir des exilés, mots aussi de ces demandeurs arméniens ou gambiens dont on ne voit que l’ombre et l’initiale. Là où des romanciers se sont essayés avec plus ou moins de bonheur à la narration de parcours d’exils (songeons à Marie NDiaye et Trois femmes puissantes, à Laurent Gaudé et Eldorado), Nathalie Quintane nous propose une forme critique, une sorte d’outil pour découper toutes sortes de discours, détourer le reste – l’essentiel – et ne pas nous croire « éternellement du bon côté du manche ».
Chloé Brendlé
Les Enfants vont bien, de Nathalie
Quintane
P.O.L, 237 pages, 18 €
Domaine français Allô la France
janvier 2020 | Le Matricule des Anges n°209
| par
Chloé Brendlé
Nathalie Quintane continue à dresser à sa façon décalée un état de notre société. Saisissant la forme du cut-up, elle nous fait réentendre des discours autour des réfugiés.
Un livre
Allô la France
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°209
, janvier 2020.