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Domaine français Écrit au lasso

février 2020 | Le Matricule des Anges n°210 | par Thierry Guichard

Pour faire le portrait de son grand-père paternel Eugène, parti faire cow-boy en Californie, Jean-Michel Espitallier confie les rênes de son récit à la rêverie. Et à la vitesse.

Élever des vaches dans les Hautes-Alpes ou en Californie au début du XXe siècle est une même chose, un même métier. Mais ici on est éleveur quand là-bas c’est cow-boy que l’on est. Et cette différence de mot ouvre tout un espace qui appelle à soi la rêverie. Éleveur fait moins rêver que cow-boy qui, à peine énoncé, convoque une multitude d’images tirées de la mythologue moderne du western, du cinéma, de la bande dessinée. « Mon grand-père s’appelait Eugène. Eugène gardait les vaches. Mais c’était en Californie. Alors Eugène était cow-boy. C’est tout ce que je sais de lui. » Dès l’incipit, on saisit que le livre que l’on va lire est bâti sur un grand vide : une absence de traces que vont venir recouvrir les limons du rêve. Le songe est la locomotive qui tire derrière elle les phrases du récit : il a besoin donc d’être alimenté en carburant pour traverser deux fois le continent américain : vers l’Ouest d’abord et la ferme où un lointain cousin attend Eugène et son frère Louis, vers l’Est plus tard et le retour au bercail en 1918 où l’amour attend Eugène qui de cow-boy se transformera en éleveur. Et le carburant du songe ne manque pas : on l’appelle Amérique et il est dans l’inconscient de chacun constitué de milliers d’images, qui bout à bout donnent quelque chose qui ressemble à un film. « Ça tourne ! » lance l’écrivain au terme de son prologue.
Disons-le tout de suite : on aura du mal à saisir la nature profonde d’Eugène. Il est comme un fantôme invité dans un film où le décor et les figurants seraient le vrai sujet. Des figurants qui font toute une nation : l’Amérique conquérante qui voit la population de Los Angeles tripler en moins de dix ans. Une Californie qui « est une terre quasiment vierge. Décor à dinosaures sans les dinosaures. » D’un côté l’étendue, l’espace entre deux océans (le pacifique et le désertique), de l’autre le fourmillement, le capitalisme conquérant, la violence des lynchages, la naissance du cinéma, l’industrie et la finance. Jean-Michel Espitallier multiplie les listes, accumule les faits historiques divers, remplit cette terre quasiment vierge qui est tout à la fois la Californie d’il y a 120 ans, le trou dans l’histoire familiale et la page blanche sur laquelle il laisse son rêve grandir. Ça file vite, les mots sont des dollars que le livre accumule ou dépense (on ne saurait dire) comme si le virus capitaliste était venu contaminer cette tentative de reconstitution d’une vie. Mais Eugène disparaît sous l’accumulation de faits historiques et d’anecdotes qui assaillent le lecteur comme les pièces d’un Tetris survolté. Et il faudra attendre le retour du fils en ses terres originelles pour que le visage d’Eugène à nouveau émerge du chaos de l’histoire.
On ne peut, tout au long de la lecture, s’empêcher de penser à quel autre livre cette recherche de l’aïeul aurait pu aboutir si le grand rêve américain n’était pas venu imposer ses clichés, sa mythologie électrique. Quel livre Jean-Michel Espitallier aurait composé, si entre lui et son grand-père aucune image, aucun cliché n’était venu s’interposer. S’il lui avait fallu faire l’expérience de l’exil, d’une langue étrangère, de la solitude, du maniement des outils pour raconter une vie, plutôt que de puiser dans la représentation surabondante des images pour l’illustrer. Peut-être ce livre-là reste-t-il à écrire à rebours de ce Cow-Boy : il s’appellerait Eugène et raconterait une vie, plutôt que le rêve d’une vie.

T. G.

Cow-Boy, de Jean-Michel Espitallier
Inculte, 131 pages, 15,90

Écrit au lasso Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°210 , février 2020.
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