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Intemporels Fantômes insulaires

juin 2020 | Le Matricule des Anges n°214 | par Didier Garcia

Dans L’Invention de Morel, le romancier argentin Adolfo Bioy Casares (1914-1999) revisite la quête de la vie éternelle.

L' Invention de Morel

Tous deux nés de l’imagination de l’auteur, l’île de Villings appartient à l’archipel des Ellice, perdu en plein océan Pacifique. Une île envahie par une nature sauvage, pour ne pas dire hostile, mais sur laquelle semblent avoir poussé, comme par magie (et nous n’en serons jamais très loin dans ces pages), « un musée, une chapelle, une piscine » qui auraient été construits par des « Blancs » vers 1924. Et c’est précisément sur cette île (encore que l’assertion soit mise en doute par une note située en fin de volume et faussement attribuée à l’éditeur) que le narrateur a trouvé refuge pour échapper à la prison à perpétuité à laquelle il a été condamné pour meurtre, optant ainsi pour une vie solitaire, ou plutôt un exercice de survie permanent. Il y tient un journal, sorte de carnet de bord qui constitue à lui seul la totalité du roman qui nous est donné à lire, et dans lequel il consigne tout ce qui peut faciliter la compréhension du lecteur, avec le souci d’être aussi objectif que possible : « Je vais rapporter très fidèlement les faits dont j’ai été témoin entre hier soir et ce matin ».
Un jour (très exactement le centième après son arrivée sur l’île), il est réveillé par un phonographe qui diffuse de la musique. En quelques instants, l’île se remplit de gens, comme s’ils n’arrivaient pas de quelque part mais étaient apparus spontanément dans le décor. Deux personnages se détachent rapidement de ce groupe : Morel, d’abord désigné comme « le barbu », et Faustine, « la femme au foulard », qui attire le narrateur sans doute plus qu’il ne le faudrait, au point de lui faire perdre toute prudence et de lui devenir « indispensable ». Chaque soir, elle se rend sur les mêmes rochers, un livre à la main, pour assister au coucher du soleil, ce qui lui laisse tout le loisir de l’observer à distance.
Peu à peu, les phénomènes étranges se multiplient. Il constate d’abord que ceux qu’il nomme « les intrus » apparaissent toujours au même moment et au même endroit, pour répéter exactement les mêmes gestes dans des scènes qui se reproduisent à l’identique. Et malgré ses nombreuses imprudences pour se retrouver au plus près de Faustine, personne ne paraît le voir (les regards des autres le traversent comme s’il n’existait pas).
Confronté à des manifestations surnaturelles qu’il ne comprend pas, le narrateur les rattache malgré lui à sa propre histoire. Au début, il est persuadé que ces gens sont là pour lui tendre un piège : « Quand j’étais obsédé par la persécution policière, les images de cette île se déplaçaient, comme les pièces d’un échiquier, selon une stratégie conçue pour me capturer ».
C’est au cours d’une soirée qu’il découvre ce qui se trame sur cette île. Morel en a fait l’acquisition pour pouvoir y tester sa dernière invention et pour qu’elle devienne leur « paradis privé ». Grâce à une machinerie hyper sophistiquée, dont le narrateur s’emploie à décrire et à comprendre les mécanismes, Morel a immortalisé ce qu’a été la vie du groupe pendant leur séjour sur l’île. Ce que le narrateur voit, ce ne sont donc pas des personnes en chair et en os mais des apparences (un peu comme des hologrammes) qui ont été filmées à leur insu et qui sont projetées dans le décor. Des fantômes en quelque sorte, avec lesquels il doit apprendre à cohabiter.
Vers la fin du roman, qui prend alors des allures de testament, il entre lui-même dans cet univers virtuel, s’immortalisant à son tour en s’intégrant dans l’histoire aux côtés de Faustine, dans une sorte d’union idéale.
Dans L’Invention de Morel (1940) Adolfo Bioy Casares revisite ce vieux désir de la vie éternelle. Mais ici, pas d’élixir censé préserver de la mort : juste des machines, fonctionnant grâce à la seule énergie des marées, et soumises au bon vouloir de l’océan. La bande de Morel a donc accédé à une immortalité très relative, ainsi qu’à une « éternité à répétition ». Quant au narrateur, il a troqué une perpétuité contre une autre, des fragments de sa vie érémitique tournant en boucle sur une île que ne visite nul touriste.
Ce roman est un mélange étonnant d’irrationnel pur (lorsque les images sont projetées le décor redevient tel qu’il était au moment de la prise de vue) et de rationalité froide, notamment quand Morel présente son projet au groupe ou quand le narrateur tente de s’approprier le langage des machines. Mais c’est surtout par sa trame qu’il séduit, une trame que Borges a qualifiée de « parfaite » (un tel compliment vaut de l’or) : une mécanique de précision, réglée au millimètre près, et dont les rouages entraînent le lecteur sans heurts jusqu’au dénouement, comme le ferait un roman policier.

Didier Garcia

L’Invention de Morel, d’Adolfo Bioy
Casares
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Armand Pierhal, 10/18, 128 p., 5,10

Fantômes insulaires Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°214 , juin 2020.
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