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En grande surface L’idiot de la famille

juin 2020 | Le Matricule des Anges n°214 | par Pierre Mondot

Faut-il renvoyer les enfants à l’école ? Début mai, ce dilemme inédit taraude de nombreux parents d’élèves. Voyons ce qu’en pense Aurélie Valognes, cinquième écrivain français en nombre de livres vendus. Dans les situations les plus difficiles, la littérature offre souvent de précieux secours et la jeune femme consacre justement son dernier ouvrage, Né sous une bonne étoile, à l’univers scolaire. On y accompagne Gustave Aubert de son entrée au cours préparatoire à l’issue de la classe de cinquième.
Le titre repose sur une antiphrase, car en vrai, le héros manque de bol. Il grandit « au sud de Paris » dans une banlieue archétypale : bâtiments gris, ascenseurs en panne, jeunes qui fument dans les cages d’escalier et bouquet de voitures incendiées pour la Saint-Sylvestre. La mère travaille comme aide-soignante (applaudissements). Ce personnage, dont la vigueur oscille au gré des performances du fils, s’essouffle assez vite. Ainsi que l’analyse Joséphine, la grande sœur de droite, « Maman n’est pas très exigeante avec elle-même. Pire, elle ne voit pas la médiocrité dans laquelle on baigne. » Le pôle paternel sonne également un peu creux et le profil psychologique du chef de famille reste vague : « Il aurait pu être le fils spirituel du capitaine Haddock et de la Castafiore. » Une subtile hypallage trahit cependant chez cet être complexe un fond de virilité : « Le père ne l’avait pas épargnée avec ses remarques saignantes et ses réflexions à point sur la cuisson ratée. » Contrarié de se voir réduit à l’état de cheville diégétique, l’homme divorce et quitte le roman avant terme.
Dès le CP, Gustave Aubert contracte la dyslexie. Malédiction. Les symptômes ne trompent pas : « les lettres dansaient devant ses yeux », le voilà qui confond les b et les d, ou les p et les q. Ses contrepets incontrôlables indisposent les pédagogues. « Avec moi, il est interdit de rêver », lui assène l’odieux Monsieur Villette. Plus loin, c’est M. Peintureau qui profite d’une leçon sur « l’homogamie » – le programme du cours moyen semble devenu assez exigeant – pour ruiner publiquement les espoirs du jeune CSP moins : « Métier désiré : Ornithologue ou Historien ? Quelle ambition ! Meilleure blague de l’année, Gustave. »
Le passage en sixième, auquel M. Peintureau s’oppose, donne à la mère l’occasion de sortir de sa léthargie : « Votre redoublement, vous pouvez vous le carrer où je pense. »
À la rentrée suivante, Joséphine prévient son frère : « C’est bien simple, le collège, c’est ce que la société offre de pire. » Et ça part mal : il a eu le malheur de tomber en français sur Iphigénie Morel, « vieille, petite et sans charme ». Le garçon réalise bien avant Barthes à quel point la langue est fasciste : -82/20 pour sa première dictée. À l’aigreur de cette enseignante s’ajoute la perversité du principal, M. Pinçard, qui cherche par n’importe quel moyen à réorienter le cancre. Le chef d’établissement a des excuses : il a été « marqué par ses années d’école, où il avait été le souffre-douleur de ses camarades ».
Céline Bergamotte, la « référente décrochage scolaire » sauve in extremis l’enfant de la délinquance juvénile où l’entraînaient tout droit ses déterminismes. Grâce à ses initiatives pédagogiques révolutionnaires telles que la rédaction d’un « cahier de rêves », l’apprentissage de la méthode Coué ou l’élaboration d’exposés consacrés à des dyslexiques fameux (Steve Jobs, Will Smith ou Alain Damasio), Gustave reprend confiance en lui. Quinze ans plus tard, devenu célèbre à son tour, il retourne dans la classe de son enseignante et improvise à l’adresse des décrocheurs un vibrant discours, maladroitement conclu par une formule équivoque : « Restez vous-même ! »
L’école représentée par Aurélie Valognes paraît un peu sommaire. Elle accroche même çà et là quelques toiles d’araignées : on y écrit à la craie, les élèves voient leurs mérites récompensés par des images ou des tableaux d’honneur, leurs écarts blâmés par de mauvais points. Qu’importe, car depuis un demi-siècle, les progrès de l’institution s’effectuent à rebours : chaque nouveau ministre annonce le retour de la dictée et un comité de réflexion sur le port de l’uniforme. Qu’importe aussi que les personnages nous paraissent caricaturaux : en ce domaine, plus le trait s’épaissit, plus il touche juste. Car le système scolaire, gigantesque mécanique plaquée sur du vivant, a tôt fait de transformer chacun de ses acteurs en marionnettes ridicules : Guignols ou Gendarmes.
À la question initialement posée, Aurélie a donc raison d’opposer un non ferme. Bien qu’il soit tentant de les punir pour leur insolente immunité, ne reconfinons pas les enfants tout de suite. Cette génération à laquelle on promet depuis toujours la montée des eaux et la mort des abeilles mérite largement une récréation prolongée.
Pierre Mondot

L’idiot de la famille Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°214 , juin 2020.
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