La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Essais Le bureau des légendes

juillet 2020 | Le Matricule des Anges n°215 | par Dominique Aussenac

Les écrivains sont-ils des menteurs invétérés, et pourquoi ? Une enquête passionnante et passionnée de Julia Kerninon.

Le Chaos ne produit pas de chefs-d’œuvre

Que sait-on de Jack Kerouac ? Qu’il aimait l’alcool, la défonce, les femmes, l’errance, les marginaux ! En grattant un peu, on s’aperçoit qu’il vécut par procuration. Les virées qu’il décrit sont celles de Neal Cassady, son meilleur ami (Dean Moriarty dans ses romans). La femme de sa vie fut sa mère, qu’il appelait Mémère chez qui il vécut fort longtemps. Un curieux dilettante qui passait ses journées à écrire. Pourquoi ce besoin de fausser les cartes ?
En parallèle à sa thèse de littérature américaine sur le travail des écrivains et en guise de mise en abyme, Julia Kerninon publia son premier roman Buvard (Le Rouergue, 2014) dans lequel une écrivaine Caroline N. Spacek mondialement connue, vivant recluse à 39 ans, loin du tumulte et des frasques passées, se confie à un jeune thésard. Le pourquoi, le comment de l’acte d’écrire associés à une image plus ou moins romantique de la violence et des affres de la création littéraire semblent hanter Julia Kerninon.
Pour illustrer sa quête, elle décortique ici les entrevues de trois écrivains : Faulkner, Hemingway et Steinbeck publiés dans la Paris Review, fondée en 1953 par de jeunes Américains expatriés « aussi lettrés que fortunés ». Sa spécificité : proposer des entretiens dans lesquels les personnes interviewées peuvent revoir leur copie, ce « qui devient dès lors davantage qu’un échange entre journalistes et auteur : il s’agit d’un texte littéraire en soi, élaboré conjointement par deux instances distinctes ». Ce fut le cas pour les deux premiers prix Nobel de littérature, le troisième, Steinbeck, mourra avant et ne seront regroupés que des commentaires écrits par l’auteur tout au long de sa vie.
L’ethos est l’image que donne de lui-même un individu qui discourt. Julia Kerninon démontre comment « Au moyen de diverses stratégies discursives, qu’il endosse les clichés de l’écrivain ou au contraire qu’il les rejette, l’écrivain développe dans l’entretien un personnage d’auteur apte à assumer ses œuvres. » Ainsi Faulkner aimait affirmer : « Je ne suis pas un homme de lettres, je suis un paysan. » Que nenni ! affirme la doctorante : « Toute sa vie, il a écrit, bu, menti. » Pareillement, lorsqu’il se montre coupé du monde des lettres, désintéressé par l’argent, méprisant le succès, dégoûté par le travail…
D’Hemingway, Kerninon explique qu’il n’aura de cesse de construire sa propre légende. La corrida, la boxe, l’héroïsme, la pauvreté à Paris, la discipline littéraire, le charme macho… La mythomanie est la manie de raconter des fables, c’est aussi l’activité même de l’écrivain.
Même s’il est un peu plus proche de la réalité, l’ethos de Steinbeck peut se résumer ainsi : « le gars de la campagne, moitié bohème moitié misfit, qui parle la langue pure de ceux d’en bas, parce que lui aussi s’est fait tout seul. » Il sera un des premiers étudiants à fréquenter en 1919 des cours d’écriture poétique, de fiction et de journalisme, s’apercevra très tôt de la difficulté de concilier travail physique et écriture. Son parcours est ponctué de rencontres bénéfiques à sa création (parents, épouses, éditeurs…)
« Le chaos ne produit pas de chef-d’œuvre, seul le travail et, dans une certaine mesure, le talent, ont ce pouvoir. Mais le chaos est une bien meilleure histoire. La réponse détaillée et honnête à la question de savoir comment exactement on écrit un chef-d’œuvre serait extrêmement fastidieuse, et c’est la raison pour laquelle les écrivains, qui aiment peut-être plus que quiconque les bonnes histoires, ne s’y risquent pas. » Avant de conclure par cette formule, Julia Kerninon reprécise son parcours d’écrivain (déjà énoncé dans Une activité respectable, Le Rouergue, 2017). D’une manière touchante et sereine, elle rend hommage à ses parents instits, lecteurs et raconteurs d’histoires. « Nous croyions, et nous croyons toujours, que ce sont peut-être elles qui assurent la cohérence du monde. »

Dominique Aussenac

Le Chaos ne produit pas de chefs-d’œuvre,
Julia Kerninon, PUF, 224 pages, 19

Le bureau des légendes Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°215 , juillet 2020.
LMDA papier n°215
6,50 
LMDA PDF n°215
4,00