Après la redécouverte de Martha Gellhorn (La Guerre de face, Mes saisons en enfer), les Éditions du sous-sol nous offrent l’opportunité de lire des portraits et reportages d’une autre journaliste américaine, Janet Flanner. Née en 1892, elle s’installe à Paris au début des années 20, comme un certain nombre de ses compatriotes plus célèbres (rappelons que Martha Gellhorn fut l’épouse d’Hemingway). Très rapidement, le New Yorker publie d’elles des chroniques régulières, ses « Lettres de Paris ». Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, elle rentre aux États-Unis mais ses réseaux amicaux ainsi que les Américains qui, les uns après les autres, quittent la France et témoignent lui permettent de poursuivre sa tâche. Les textes rassemblés ici allient une perspicacité alertée à une subjectivité maîtrisée : un humour discret cède parfois la place à des jugements plus caustiques et la tristesse envers un pays et un peuple qu’elle a aimés se laisse deviner dans de nombreuses pages.
C’est que dès le début de l’Occupation Paris est devenu « la capitale des limbes ». La presse est muselée, les Français apprennent à subir les restrictions – alimentaires et existentielles – qui leur sont rapidement imposées. Ils comprennent vite que les Allemands, sous des dehors de politesse « aryenne », sont bien les « doryphores » venus se rassasier de tout ce que la France est obligée de leur offrir. Hitler a gagné et pourrait s’exclamer : « Veni, Vidi, Vichy » ! Janet Flanner décrit aussi bien les conséquences économiques de la Collaboration (« le franc ne vaut plus un clou ») que les progrès lents mais indéniables de la Résistance. Pétain fait preuve d’un « paternalisme autoritaire naturel » mais « le peuple a très certainement le sentiment d’avoir été vendu ». Au cœur du livre, trois articles successifs de 1943 composent une sorte de mini-roman : « L’évasion de Mrs Jeffries » raconte comment, en une succession d’épisodes mêlant le grotesque et le pathétique, une Américaine parvient à s’échapper de cette France devenue pour certains (les Juifs avant tout) un piège mortel.
Thierry Cecille
Paris est une guerre 1940-1945,
de Janet Flanner,
traduit de l’anglais (États-Unis) par Hélène Cohen,
Éditions du sous-sol, 262 pages, 20 €
Histoire littéraire Paris sans fête
juillet 2020 | Le Matricule des Anges n°215
| par
Thierry Cecille
Un livre
Paris sans fête
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°215
, juillet 2020.