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Domaine étranger Chair à Dalstroï

juin 2021 | Le Matricule des Anges n°224 | par Éric Dussert

Physicien russe brillant, Georgui Demidov n’évita pas le goulag. Non content d’y trimer, il trouva moyen de réinventer l’ampoule et de survivre.

Doubar et autres récits du goulag

Le Russe Georgui Demidov incarne mieux qu’aucun autre le phénoménal gâchis perpétré par la dictature stalinienne de sa propre population. En arrêtant opposants, intellectuels et tout individu coupable de crimes politiques imaginaires, et en profitant de cette quantité d’hommes et de femmes expédiée au goulag, le régime soviétique faisait d’une pierre deux coups : limiter drastiquement les velléités d’insoumission et mettre à profit grâce au Dalstroï, l’organisation créée par le NKVD en 1931, les richesses de la Kolyma, ce vaste territoire d’outre-monde, placé au bord du cercle polaire. Repérée déjà par les géographes du tsar comme l’un des territoires les plus riches de l’empire – en or notamment –, la Kolyma a l’autre particularité d’être l’une des zones les plus désolées et les plus froides de la terre (-60°C par hiver banal)…
Né en 1908, Georgui Demidov y fut expédié pour terrorisme trotskyste. Il avait essentiellement le tort d’être à la fois physicien et brillant. Condamné à dix ans de travaux forcés, il est expédié au goulag où il reprendra dix années supplémentaires pour avoir comparé ce régime à Auschwitz sans chambre à gaz. On ne peut pas lui donner tort, les cinq récits qu’il fit circuler sous forme de samizdat pour en dire le quotidien ne laissent aucun doute sur les conditions extrêmes qu’avaient à y supporter les prisonniers, condamnés à mort de fait. Y survivre comment lorsque les gardes laissent par simple routine les prisonniers debout devant la porte du camp au retour de leur harassante journée de travail. Quand bien même deux ou trois seraient congelés, littéralement, et s’effondrent, le prochain envoi de prisonniers frais bouchera bientôt les trous des équipes. Seul compte l’or et les richesses promises aux appétits du Dalstroï par cette terre funeste. Dans une remarque glaçante, Demidov se souvient que « dès le début du printemps, près de la moitié des travailleurs de notre camp avaient été classés dans les Archives n°3, celles des morts. » Le recueil de récits de Demidov s’intitule Doubar (cadavre).
L’autre mot qui nous est arrivé du goulag, c’est « zek », le prisonnier. Comme l’indiqueront également d’autres victimes du système concentrationnaire, y compris Soljenitsyne et Chalamov, rien n’est plus cruel au zek que le zek son frère. Chez Demidov, le constat est aussi radicalement implacable : « Les crevards irritaient par leur incapacité à soulever même un tout petit poids, à franchir sans tomber le seuil pourtant bas, à répondre au premier coup quand on leur demandait leur nom, à faire la différence entre le ticket pour le pain et celui pour la lavasse. Ceux qui recevaient le plus de gnons, c’étaient les moribonds qui, renversés par un simple coup de vent, continuaient quand même à grogner et à montrer les dents. (…) Bien des choses qui semblaient révolues chez les humains ne sont en fait que recouvertes du fard de la civilisation ; il suffit que cette couche fragile soit effritée par les violentes secousses de la vie pour que réapparaissent au grand jour les vieux instincts de la meute féroce, dont celui-ci : “Mort au plus faible !” »
La situation n’est guère améliorée par la présence parmi les zeks des « droits communs » terriblement durs et organisés. Dans Doubar, Demidov réserve justement à une section de malfrates un traitement particulier puisqu’elle est victime de la folie meurtrière d’un garde de camp au profil psychologique bien particulier. Mais il faut être diablement solide pour faire face aux quolibets d’une meute de femmes du milieu, fussent-elles prisonnières. Demidov décrit l’inévitable « Amok », déchaînement de violence aveugle dont il imagine toutes les étapes jusqu’aux noms d’oiseaux dont le garde mal dans sa peau est affublé par les furies inconscientes du fait qu’elles jouent avec une grenade dégoupillée…
Ce souhait d’habiller de littérature les épisodes qu’il retraçait effilocha son amitié avec Vladimir Chalamov dont les Récits de la Kolyma avaient opté pour une neutralité la plus sèche, à l’instar du geste neutre d’Evguenia Guinzburg dans Le Ciel de la Kolyma. Les deux hommes avaient partagé le même dortoir en camp et Chalamov, une fois libéré, le tint pour mort. Il avait apprécié la nature humaine et l’ingéniosité de Demidov – ce dernier avait trouvé le moyen de rendre aux ampoules électriques mortes une nouvelle vie alors qu’il était interné au camp de Stekolnyi (il est « L’ingénieur Kisseliov » dans le livre de Chalamov). Ils se retrouvèrent par hasard et Chalamov tenta maladroitement de lui donner des conseils de style : la brouille fut nette. Demidov assumait le mode d’expression qu’il avait choisi pour raconter l’histoire d’un jeune procureur trop naïf qui finit lui-même au goulag, du peintre Bacille condamné par sa propre volonté à une mort rapide ou du jeune chanteur d’opéra, qui trouve dans le chant une occasion de survie parce qu’on le choit pour l’entendre et que quelques morceaux de pain supplémentaires conditionnent une survie. Comme les « romanciers » décrits par Chalamov qui subsistent grâce à leur capacité à raconter des histoires, le chanteur de Demidov est protégé par ceux des prisonniers qui disposent des menues autorités sur la gamelle ou sur l’infirmerie, deux manières d’échapper au travail dans le froid. Dans cette géhenne, un subterfuge peut-il sauver un zek ? Dévoués aux affaires du Dalstroi, les directeurs de camp ne voyaient pas d’un bon œil les tire-au-flanc… On se demande quoi qu’il en soit par quel miracle le physicien Demidov a survécu sous le ciel glacé de la Kolyma…

Éric Dussert

Doubar et autres récits du goulag
Georgui Demidov
Traduit du russe par A. Garcia, A. Gaillard et C. Stoïanov
Éditions des Syrtes, 282 pages, 22

Chair à Dalstroï Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°224 , juin 2021.
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