Voici un livre de nouvelles qui porte bien son titre. C’est une armée de l’ombre que ressuscite ici Jacques Josse en de très courts textes (de deux à trois pages chacun) qui tracent avec peu d’effets le destin de solitaires, d’écorchés, d’ombres accoudés aux comptoirs de rades bretons, couchées sous la lande ou perdues « dans les draps rêches de l’océan Atlantique ». Des portraits où se dessine parfois l’auteur lui-même quand c’est le goût des livres ou la figure des poètes que sa prose évoque. Jacques Josse ne marche pas exactement sur les traces du Michon des Vies minuscules. Sa prose ne cherche pas à être lumineuse (même si y brillent quelques belles trouvailles) : c’est au plus près d’une condition humaine faite de violences, de deuils, de misère que l’écriture avance, humble mais précise, sans pathos ni jugement. L’effet du manège opère : chacun se met à vivre sous nos yeux et l’un après l’autre ils finissent par donner vie à une communauté. Celle des oubliés que l’écrivain ancre dans notre mémoire nous rendant ainsi une part de cette humanité qui gît en tous. Usant ici d’un behaviourisme à la Carver, là d’un soupçon d’objectivisme, cette écriture se nourrit autant de la terre bretonne que de la poésie américaine. Elle rend dans sa (fausse) simplicité apparente justice à celles et ceux qui n’avaient parfois qu’ « une tombe de pauvre, sans pierre tombale, soumise aux assauts du vent, du gel et de la pluie » comme François Labia. À celui-ci, torturé sur un bateau de pêche au large de Terre-Neuve en 1903, Josse fait plus que rendre justice : il lui offre un suaire de papier et à nous un être à chérir, par de-là l’oubli.
T. G.
Le Manège des oubliés
Jacques Josse
Quidam, 113 pages, 14 €
Domaine français Le Manège des oubliés
novembre 2021 | Le Matricule des Anges n°228
| par
Thierry Guichard
Un livre
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°228
, novembre 2021.