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En grande surface Hibernatus

novembre 2021 | Le Matricule des Anges n°228 | par Pierre Mondot

Dans Paris Match bollorisé, au long d’une double page, Rufin s’affiche en tenue d’alpiniste (non l’autre, l’insoumis prend deux f). L’académicien, debout sur un rocher, un anneau de corde entre les mains, démontre par le choc des photos qu’il est bien le plus alerte des immortels. Bras nus, muscles bandés, mâchoires serrées, il observe les cieux d’un air inquiet. L’intrigue de son dernier roman, Les Flammes de pierre, se noue dans les Alpes et son héros appartient à la prestigieuse compagnie des guides de Chamonix, voilà l’explication. Et le quasi-oxymoron du titre désigne en réalité une arête dans le massif du Mont-Blanc. Validé : après une année à suffoquer sous les masques, on accueille avec joie cette bouffée d’oxygène.
En préambule, Rufin revient sur la genèse de son récit. Tout commence au retour d’une ascension. Alors qu’ils franchissent un passage difficile, l’auteur interpelle ses compagnons de cordée (dont Sylvain Tesson, autre grimpomane) : « C’est tout de même bizarre (…) qu’il n’y ait plus de littérature de montagne. » Mouais, bof, pas si sûr, maugréent ses amis, occupés à assurer leurs appuis dans une paroi périlleuse. La question les prend de court. « On dirait qu’il y a eu une époque bénie, un âge d’or du roman d’alpinisme (…). Et puis plus rien. » poursuit le neurologue, avant de méditer seul sur le mystère de cette disparition. Mais personne dans le groupe pour lui suggérer que le genre a sombré parce qu’il était chiant.
On n’y connaît rien, en fait. Impossible à l’adolescence d’ouvrir Premier de cordée. Les admirateurs du livre, souvent des gens austères, en décourageaient la lecture. Il paraît à présent nécessaire de combler ce manque. Si l’on veut examiner avec honnêteté le texte de Rufin, un détour par le chef-d’œuvre de la catégorie s’impose.
La Savoie dans les années 20 ne manque pas de charme. Les adolescents chamoniards vouvoient leurs parents. Les chiffres de l’insécurité sont bons et le taux de chômage presque nul : au village, celui qui n’est pas guide ou porteur peut devenir hôtelier comme M. Dechosalet, propriétaire de L’Hôtel des Voyageurs, « cent dix-sept chambres, cinquante salles de bains ». En plus de quoi l’ordre règne dans les chalets, où les rôles sont rigoureusement répartis : « T’inquiète pas, femme, tu es capable ! pour ça oui ! Fais-les manger aussi bien que tu nous fais la soupe et ils seront contents. » On décroche à mi-pente, mais le récit se révèle plus plaisant que prévu. À quelques exceptions : les descriptions géologiques et le vocabulaire technique entraînent un peu de buée sur les lunettes. Il convient d’accepter que certains propos conservent leur obscurité : « Trop de neige, nous avons boellé sous la rimaye des Charmoz. » Mais voilà l’histoire : Jean Servettaz, fameux guide, meurt foudroyé en pleine montagne. Son fils Pierre qui passait par là veut récupérer le cadavre, mais trébuche à son tour. On lui avait pourtant dit de faire ses lacets. Six semaines plus tard, un guide enfin se hisse jusqu’au lieu de l’accident. Le macchabée est gelé, figé bras en l’air. Le matériel du type n’est pas adapté, le membre dépasse du sac mortuaire. « Heureusement qu’il s’est brisé après un ou deux rappels ; alors on a pu tout rentrer dans le sac et c’était plus correct. » commente le secouriste. Mais après ça le paquet lui échappe derechef et le truc « a débaroulé toute l’Épaule et rebondi sur le glacier ». Synthèse du brave homme : « Au départ, y mesurait bien dans les un mètre septante ; au Montenvers, tout tenait dans un petit sac… »
Pendant ce temps, Rufin a poursuivi sa réflexion et pense même avoir trouvé la solution : il manque un « supplément d’âme » aux textes d’escalade. Le genre n’offre pas de grandes marges de manœuvre et le narrateur se voit contraint tôt ou tard d’emprunter les voies ouvertes par son aîné. Certains éléments semblent invariables : au départ, un « monchu » prétentieux pousse son guide à prendre des risques insensés et brusquement le vent tourne, la neige s’abat, le porteur glisse et horreur, voilà notre héros suspendu au-dessus du vide, accroché à son piolet, mon dieu faites que rien ne le démange. L’ancien diplomate récupère la recette, mais pimente sa frisonade en versant par-dessus une idylle (quand le récit fondateur se limitait au coup de foudre). Eh oui, être amputé des orteils n’empêche pas d’avoir un cœur qui bat. C’est ainsi que Rémy, grimpeur émérite, fait la connaissance de Laure du monde de la finance, une femme « d’une beauté hiératique ». Tout les oppose, mais la montagne (véritable personnage à part entière de ce récit) les réunit car la pierre, elle, ne ment pas.
Dans Premier de cordée, le narrateur rapporte une seconde anecdote de cadavre congelé : trente ans après sa disparition, un guide récupère le corps de son père prisonnier sous la glace. Ses traits sont intacts, il apparaît désormais plus jeune que son fils. Une image saisissante. Rufin penché sur Frison-Roche.


Pierre Mondot

Hibernatus Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°228 , novembre 2021.
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