Grimaces embarrassées de la rédaction à l’annonce d’un prochain article sur Mona Chollet. L’idée, jugée moyenne, fait débat. Ne court-on pas le risque d’ajouter de la division à la division dans un pays déjà largement fracturé ? Ne pourrait-on pas trouver matière moins sensible en ces temps compliqués alors qu’à nouveau soufflent les vents mauvais ? Il paraît qu’Anne Hidalgo a sorti un livre, tu es sûr que ça ne te tente pas ?
Cette inquiétude. Ça va, c’est pas comme si la revue s’appelait le Patricule. On promet d’autant plus de sérieux que l’essai aborde une question grave, qui nous concerne toutes et tous, y compris celles et ceux : pourquoi diable les hétérosexuels s’assemblent-ils si mal ?
Il n’est que d’observer autour de soi pour s’en convaincre : un peu partout, hommes et femmes se chamaillent. Passé une parenthèse enchantée, plus ou moins étirée selon l’intensité du coup de foudre, la joie décline. Assez vite, chacun vaque et grommelle dans un coin du foyer, entre indifférence et frustration. Sabotage, assure Mona Chollet, car d’entrée de jeu, les dés sont pipés : « Des partenaires qui se conforment à la lettre à leurs scripts de genre respectifs ont toutes les chances de se rendre malheureux. »
Elle-même a connu l’échec dans son couple, après « dix-huit ans » de vie commune. Cette longévité semble déjà appréciable, mais l’auteure ne s’en satisfait pas. Elle entreprend donc d’inventorier, pour mieux les démonter, les modèles sociaux responsables de nos conjugalités empêchées. Garçons et filles sont victimes de leur éducation sentimentale. Leurs comportements se trouvent dès l’enfance corrompus par des représentations culturelles qui s’apparentent, à condition de s’éveiller, à une publicité géante pour le régime patriarcal. La mythologie romantique, par exemple, foisonne de figures soumises et sacrificielles, mais d’amazones ou de pétroleuses, point. Et si Guy Georges ou Marc Dutroux reçoivent dans leur prison des lettres d’admiratrices enflammées, ce n’est pas comme le pense Éric Dupond-Moretti que « les dingues attirent les dingues », mais plutôt que des millénaires de domination masculine ont développé chez les femmes le « syndrome du Saint-Bernard ». « Don’t try to fix him » (n’essaye pas de le réparer), prévient un graffiti repéré par l’auteure dans les toilettes d’un club londonien : la féminité thaumaturgique relève du fantasme, les filles ne naissent pas avec le talent d’apaiser les cinglés.
La journaliste compare la découverte du féminisme à l’absorption, dans Matrix, de « la pilule rouge de la lucidité ». Et se replonge, cachet en bouche, dans son adolescence genevoise, au temps où elle avait « des rêves d’amour plein la tête ». L’étendue de son aveuglement la sidère. Jadis, son cœur bondissait à la lecture de Belle du Seigneur. Elle juge à présent Solal « machiste, manipulateur et sadique » et Ariane, « extraordinairement tarte ». Au cinéma, elle frissonnait devant Star Wars et le personnage de Han Solo. La scène dans laquelle il surprend la princesse Leia et « l’amène à avouer à demi-mot qu’il lui plaît avant de l’embrasser malgré ses rebuffades » lui apparaissait « comme un sommet de romantisme et d’érotisme ». Bien qu’elle réalise aujourd’hui avec gravité que par la faute de George Lucas, « son imaginaire érotique est fondé sur la culture du viol », on s’amuse que Mona se pâme pour Solo.
La journaliste revendique douceur et bienveillance, s’efforce « d’essayer d’écrire sans blesser », mais ne s’interdit pas ici ou là un léger coup de marteau sur le front des idoles. Exemple avec Marc Lavoine : il incarnait à nos yeux une forme de virilité sensible, et on l’aurait juré intouchable. Nenni : « En 2016 (…) âgé de cinquante-quatre ans, (il) tombera amoureux de l’écrivaine d’origine vietnamienne Line Papin, vingt et un ans, qu’il épousera en 2020. Il lui rendra hommage dans une chanson intitulée Ma Papou, dans laquelle il la qualifie de “poupée moitié indochinoise” qui a “redressé la tour de Pise” (sic). » Foutues pilules rouges.
À condition de s’affranchir des normes sociales, les couples peuvent trouver équilibre et harmonie au sein d’« une intimité forte ». C’est le cas de l’écrivaine Samantha Bailly et de son compagnon Antoine Fesson : « en se promenant main dans la main sans les rues de San Francisco, ils jouent à un de leurs jeux favoris, “Devine ce que je préfère” : chacun doit deviner dans quelle maison de la rue l’autre aurait le plus envie de vivre. Une habitude qui témoigne de leur attention l’un à l’autre, de leur désir profond de se connaître. »
Seule une brute toxique, le dernier des déconstruits, oserait railler pareil échantillon de bonheur conjugal. Il n’y avait pas lieu de s’inquiéter : nous voilà convaincus et déterminés nous aussi à Réinventer l’amour. Même si traîne une question : une fois le patriarcat renversé, qui portera les trucs lourds ?
Pierre Mondot
En grande surface Mâles bêta
janvier 2022 | Le Matricule des Anges n°229
| par
Pierre Mondot
Mâles bêta
Par
Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°229
, janvier 2022.