C’était en…1969 ! Avant que la très laide tour Montparnasse fût édifiée, il y avait une gare et, tout autour, un dédale de ruelles et de hangars. C’est là que Coluche répétait avec la petite troupe qu’il avait formée. Il cherchait une comédienne pour remplacer Claire Nadeau qui avait joué dans son spectacle Thérèse est triste. On m’avait engagée parce que je savais chanter. J’avais mis sous le nez de Coluche le 33-tours que je venais d’enregistrer avec les poèmes d’Albertine Sarrazin.
En 1969, tout le monde connaissait le visage de cette jeune femme brune aux yeux noirs étincelants, devenue une étoile du monde littéraire en quelques semaines. Adolescente révoltée, elle avait publié son très beau premier roman, intitulé L’Astragale.
Je l’avais lu avec passion et m’étais identifiée avec cette fille insolente, révoltée, indomptable. Son talent était éclatant. Ses phrases étaient nerveuses, rapides, irradiantes, d’un humour féroce et provocant. Je tombais sous son charme, rêvant de ses délits comme de hauts faits de guerre. J’admirais l’audace qu’il lui avait fallu pour sauter depuis le mur de la prison de Doullens, où elle croupissait après s’en être évadée.
La rencontre nocturne d’Albertine et de Julien Sarrazin était miraculeuse. Il l’avait conduite blessée sur sa moto, chez un proxénète, que j’ai rencontré une fois après la mort d’Albertine, dans un repaire de voyous, quelque part du côté de Saint-Ouen. Le mec avait brandi un tesson de bouteille sur le visage d’une prostituée. Je m’étais enfuie, de ce coupe-gorge. Le gardien du vestiaire avait appelé un taxi. « Ma petite fille, vous n’avez rien à faire ici ! »
Je savais qu’à Paris une dame donnait des cours de chant à tout ce qui comptait dans le monde du show-business. Tosca Marmor était une rescapée de l’Orchestre des femmes du camp d’extermination d’Auschwitz Birkenau. Son fils et son mari y avaient été gazés. Elle était vieille et généreuse. Elle m’avait admise dans sa cour où ceux qui se voyaient « dèjà en haut de l’affiche » attendaient leur leçon pendant des heures. Elle m’avait expliqué qu’il me fallait un « répertoire ». Les petites chansons que j’écrivais, ça ne suffisait pas.
Un jour, je me jetai à l’eau. J’écrivis à Albertine Sarrazin. J’eus la surprise de recevoir une lettre. Je retournai l’enveloppe : « Albertine Sarrazin, Les Matelles ». Je lus en tremblant sa réponse brève, cinglante, mais pas méchante. Qui étais-je pour la déranger et oser lui demander de m’écrire des textes ? Une inconnue avec de pareilles prétentions ! Je lui répondis que certes, je n’étais pas grand-chose, mais qu’elle n’était pas non plus très brillante quand elle se morfondait derrière les barreaux. Cette réponse, pleine de détresse et de culot, lui plut. Elle me proposa de nous rencontrer. Elle me fixa la date à laquelle elle viendrait à Paris, précisant qu’elle ne me consacrerait que 10 minutes. C’était au Mandarin, à l’angle de la rue de Seine et du boulevard...
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Albertine Sarrazin
Dans les pas d’Albertine Sarrazin
juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235
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