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Domaine étranger Les larmes de l’exil

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Camille Cloarec

Avec Le Sourire de Mariam, l’écrivain Iranien Ghazi Rabihavi déploie une lancinante complainte sur le désir et la perte.

Hésitation, indécision. Source de tous les maux que j’endure maintenant. » Voici ce qui tourne en boucle dans l’esprit d’Ozra, enfermée dans la solitude étouffante de son appartement. Son époux, Issah, éveille en elle tout un tas de sentiments contrastés : jalousie, rancœur, tristesse, pitié. Ils ont tant vécu ensemble qu’ils ne parviennent plus à se dévisager, à s’écouter. « Moi, j’étais en colère à cause de Mariam, le pauvre petit être échoué dans ce refuge qui ne pouvait que regarder, sans qu’on sût quoi faire de ce regard. » Telle est l’humeur d’Issah, accablé de hargne et de culpabilité. Leur couple se déchire avec pour unique spectatrice leur fille, Mariam, paralysée et muette. Le temps d’une journée, nous plongeons dans l’univers suffocant de la résidence universitaire transformée en centre de réfugié·es qu’ils occupent, en bordure du désert. La guerre contre l’Irak est terminée. Des personnes exilées y vivent dans une promiscuité forcée, avec l’espoir de revoir un jour leur maison. Les rumeurs y circulent à la même vitesse que les courants d’air. Quant aux désillusions, elles sont quotidiennes. Djidjou, un homme un peu simple d’esprit soupçonné de coucher avec sa tante, opère une cour tenace à l’endroit d’Ozra. La très apprêtée Djamileh fait figure de rivale pour à peu près toutes les femmes. Et si elle séduisait leur mari ?
L’envie, le désir, la passion, autant d’émotions dévorées par la guerre, se frayent pourtant un chemin parmi le défilé de jours uniformes. « Tu n’arrives pas à comprendre que l’attirance que j’éprouve pour certaines femmes ne signifie en rien que je te sois infidèle. En fait, cette attirance pour les femmes commence par toi. Par l’attirance que j’ai envers toi, les pensées qui me conduisent jusqu’à toi, qui me poussent à t’aimer », confie silencieusement Issah à son épouse. Cependant, tout ce que cette dernière perçoit, c’est son regard fuyant, ses sorties inopinées, son mutisme obstiné, lesquels nourrissent ses soupçons. Entre eux, l’incompréhension ne fait que s’épaissir. À force de se taire, ils se sont perdus. « Certaines femmes ont l’habitude de dire : “Essaie de ne pas dire à ton mari “je t’aime”.” Parce qu’après lui avoir dit ça, tu dois t’attendre à le perdre. (…) Peut-être que les hommes ont la même superstition que les femmes. Ce qui rend ce monde vraiment détestable. »
La narration du Sourire de Mariam repose sur les monologues croisés d’Ozra et d’Issah, pétris de doutes, d’amour et de rage. Ils se déchirent sans jamais se percuter, ressassant le passé, maudissant le présent, craignant le futur. Chacun revient, au fil de cette journée interminable qui ressemble à toutes les autres, sur sa jeunesse perdue – la naissance du désir, le travail à l’usine, l’engagement militant, tout ce qui était et n’est plus. Les destinées souvent tragiques des êtres aimés (assassinés, suicidés) se mêlent aux tâches habituelles. Ces ruminations ne cessent d’achopper sur le traumatisme de la fuite, au cours de laquelle Ozra alors enceinte a chuté, provoquant le lourd handicap de Mariam. Atteignant du même coup l’amour ardent qui les unissait, entachant pour toujours le reste de leur vie. Car le corps inerte de Mariam et son regard douloureux leur rappellent continuellement l’horreur du monde dans lequel ils l’ont fait naître. « Je voudrais mourir pour les larmes de ma fille », résume Issah.
Ghazi Rabihavi, exilé au Royaume-Uni depuis 1995, signe un roman à fleur de peau, bouleversant, nourri de légendes et de blessures, hommage à la force brûlante et à la violence fébrile du sentiment amoureux. Rendons ici hommage à l’immense travail de son traducteur Christophe Balaÿ, spécialiste de la littérature iranienne à qui l’on doit beaucoup (les traductions françaises des œuvres de Zoyâ Pirzâd et de Sadegh Hedayat, notamment), qui vient de nous quitter en juillet dernier.

Camille Cloarec

Le Sourire de Mariam
Ghazi Rabihavi
Traduit du persan (Iran) par Christophe Balaÿ
Serge Safran éditeur, 288 p., 22,80

Les larmes de l’exil Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
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