Peu de temps après en avoir fait l’acquisition, le nouveau propriétaire d’une maison (et voisin de l’auteure) découvre une boîte verte en métal contenant « une quinzaine de carnets ». Ce sont des agendas du Crédit agricole, dans lesquels une certaine Marie, pendant des années (de 1987 à 2000, avec une pause en 1999), a consigné le quotidien de sa vie, vécue dans un hameau du Forez, d’où l’on peut voir le Mont-Blanc.
Ce journal, que l’auteure découvre, n’a rien de littéraire. Ni dans le fond, ni dans la forme. C’est souvent à peine écrit, plein d’abréviations (« P de T » pour pommes de terre par exemple) et de formulations grammaticalement approximatives (« Déboucher fontaine pas y arriver »). Ses phrases sont portées par des infinitifs ou des participes passés, et elles font volontiers l’économie des pronoms personnels (Marie préfère parler d’elle à la troisième personne : « Marie rester seule dans le village »). Quand elle n’a pas recours à la liste (« Seize bocaux de choux-fleurs, dix-neuf bocaux de haricots »), elle confie aux agendas des segments qui tiennent surtout du style télégraphique, comme s’il y avait urgence à tout noter, pour ne pas courir le risque d’oublier : « Vu Maurice. Fait lits, manger, mis poison aux rats, ramener cendre, saucissons, ramasser linge. » Sous-titré « chroniques de l’infraordinaire » et accompagné de (belles) photographies en noir et blanc de Claude Benoit à la Guillaume, Pas vu Maurice (qui est le premier volume de Laurence Hugues) fait dialoguer à distance deux présents (et c’est là la principale qualité de l’ensemble) : celui de l’auteure et celui de Marie. Mais il donne surtout à lire ce qu’il se passe quand il ne se passe rien. Ce que d’ordinaire on néglige (le temps qu’il fait, les activités quotidiennes comme le jardinage, la couture, le ménage). L’obstination que Marie met à sauver ces petits riens de l’oubli a quelque chose de profondément émouvant.
Didier Garcia
Pas vu maurice
Laurence Hugues
Créaphis, 152 pages, 12 €
Domaine français Pas vu Maurice
octobre 2022 | Le Matricule des Anges n°237
| par
Didier Garcia
Un livre
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°237
, octobre 2022.