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Domaine français Les extravagances d’une femme-oiseau

novembre 2022 | Le Matricule des Anges n°238 | par Richard Blin

En un livre inspiré d’une biographie légendaire, Claude Louis-Combet nous fait revivre les aberrations d’une vie vouée à la sainteté.

Christine l’admirable

On sait combien Claude Louis-Combet a l’art de repérer dans les vies de saints, et plus particulièrement dans les vies de saintes, des points de convergence, des analogies en rapport avec la charge d’imaginaire de sa propre histoire. Il y trouve des nœuds de coagulation et des points de cristallisation fantasmatiques qui deviennent des supports à la rêverie et au désir. Quand il a découvert, dans La Mystique divine, naturelle et diabolique de Johann-Joseph von Görres, la belle histoire de Christine l’Admirable (1150-1224), il a été happé par la part excessive et inassimilable de son existence, par ce qu’elle incarnait de démesure et de marginalité. Et, fidèle à cette forme d’identification qu’il a baptisée du nom de mythobiographie, il a commencé à s’approprier la part d’extravagance dans laquelle il pouvait se reconnaître. « Nous [les hagiographes à la Huysmans] tirons chacun la sainte dans le miroir qui nous convient et dans lequel nous aimerions nous retrouver, dans la superposition des visages et des corps. »
D’où ce livre, Christine l’admirable, né de l’imagination de l’extra-ordinaire propre à Claude Louis-Combet, et de sa faculté à procéder par assimilation symbiotique et communion des esprits. Se coulant dans le monde intérieur de son héroïne, et identifiant d’instinct les moments où l’élan du cœur l’emporte sur le sens commun, ou ceux où l’émotion vient ruiner les énoncés de la sagesse, il nous fait revivre la tension intérieure, la solitude, les privations, les joies de l’abandon à Dieu, et les épreuves qui furent celles de cette Christine, née à Saint-Trond, dans le diocèse de Liège, au milieu du XIIe siècle.
Cadette de trois filles, elle était chargée de garder les bêtes, moutons, cochons, oies, vaches. Ce sont ces dernières qui, « par l’exemple de leur rumination sans faille, inspirèrent à la future sainte le goût de la contemplation ». Elle avait 10, 12 ans et la beauté du monde, que célébraient sans cesse « à ses oreilles et à son cœur » le chant des oiseaux, la comblait. Mais, si les senteurs des femmes la réjouissaient, elle était révulsée par celle des hommes et des animaux mâles, comme si l’œuvre de chair ne pouvait être que celle du démon, et donc « une promesse d’abîme ».
À force de vivre comme absente aux êtres et aux choses, ne mangeant plus, ne dormant plus, elle finit par être déclarée morte, avant de ressusciter de manière spectaculaire, le jour de ses funérailles. Alors que le prêtre s’avançait dans la nef afin de bénir la petite morte, exposée au public sur une planche posée sur deux tréteaux, « elle se dressa sur son céans, ses bras se mirent à tournoyer » et elle s’éleva, s’envola jusqu’au plus haut de la nef, chantant des Alleluia d’une voix paradisiaque. L’événement excita l’imagination de tous. Était-elle une sorte d’ange ou une sorcière ? Des garçons malintentionnés voulurent le savoir mais elle leur échappa en s’envolant, de la même façon qu’elle s’envolait dès qu’elle percevait des « remugles masculins ».
Loin du monde, elle passait le plus clair de son temps, « merle démesuré », au sommet des arbres, des tours ou des clochers. Une existence étrange qui lui valut d’être enlevée, séquestrée, affamée. Mais grâce au miracle de l’auto-nutrition – ses seins lui donnant en abondance « l’un du lait et l’autre une huile délicieuse à saveur de noisette » –, et grâce à la pensée de Dieu qui jamais ne la quitta, elle survécut à tout. Des années de vie sauvage qui prirent fin avec son entrée dans le béguinage de Liège, un lieu où elle pourrait accomplir plus sereinement son désir de perfection chrétienne. Mais ce retour au monde, « comme à la prose commune », fut douloureux. Elle tomba malade et mourut une seconde fois, avant de ressusciter à nouveau pour pouvoir accéder au désir d’une béguine qui voulait tout savoir de l’expérience de la mort, des voluptés du vol et de la façon dont la chair peut se faire esprit sans cesser d’être chair. Puis eut lieu sa troisième mort, la bonne, en juillet 1224.
Chez cette Christine, jamais rassasiée de beauté et gratifiée du don de lévitation, c’est la manière de vivre le constant dépassement des limites, autant que la façon de se perdre dans la densité d’une absence tournée vers la seule présence de Dieu, qui a fasciné Claude Louis-Combet. Une dynamique de soustraction, une singulière marginalité qu’il a associées à une femme-oiseau qu’il a connue et n’a cessé de connaître – « C’est elle dont l’image n’a cessé de m’éclairer et de me guider » – et qui font de ce livre une célébration de l’absolu quand il hante totalement un être.

Richard Blin

Christine l’admirable
Claude Louis-Combet
Corti, 144 pages, 17

Les extravagances d’une femme-oiseau Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°238 , novembre 2022.
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