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Domaine étranger Sortie de scène

avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242 | par Valérie Nigdélian

Quelque part entre Virginia Woolf et Franz Fanon, un premier roman incisif de Natasha Brown, encensé par la presse britannique.

Une réussite exemplaire. Assimilation, ascension, appartement dominant Londres, bureau au cœur de la City. Boy-friend issu de la haute. Capital social, capital économique. « Tout va bien ». C’est par ces mots que s’ouvre Assemblage, saisissant premier roman de la Britannique Natasha Brown. Et c’est cette croûte lisse que, page après page, les mots vont gratter, révélant peu à peu l’illusion, le mensonge et le vide sous un vernis de plénitude.
Dans une langue qui manie l’ellipse comme elle respire, un troublant portrait de femme se dessine peu à peu, que le lecteur aura la charge de reconstruire – assembler, justement – au fil des fragments narratifs et d’un récit à la première personne très intériorisé, jamais fléché. On y devine, presque sous la langue, dans le flux de conscience et des souvenirs, bribes de conversations ou détails convoqués, les micro-agressions quotidiennes du racisme ordinaire (Brown ne cache pas son admiration pour la poète Claudia Rankine) dans une société multiculturaliste qui a fait de l’affimative action (notre « discrimination positive ») le pilier d’une « intégration » réussie. On y avance comme suspendus, flottants, pris entre rage et désespoir face aux « vagues contes de fées vantant la bienveillance impériale ». On s’y cogne à cette indépassable impossibilité : « Née ici, de parents nés ici, jamais vécu ailleurs – pourtant, jamais d’ici. » Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, d’avoir patiemment modelé, façonné, conformé, avec détachement et obstination – « Allez, quoi. Lève le pied gauche, lance-le en avant, suis-le. Ne ralentis pas, ne t’arrête pas. Ne pense pas. Continue à bouger le pied, c’est tout. » Mais le masque patiemment construit se craquelle : « Je suis tout ce qu’on m’a dit de devenir. Ça ne suffit pas. »
Que reste-t-il derrière ce masque auquel elle semble tout entière se réduire ? Rien, ou si peu. Rien, sinon une immense amertume. Une enveloppe vide, dont la peau, noire, s’est dépotentialisée en « une persistance générationnelle, dépourvue de signification comme de mémoire », à qui toute appartenance collective, toute communauté (à la fois culturelle et historique) est interdite, effacée, détruite. Qui est vraiment cette femme ? Un objet exotique vaguement érogène ? Une caution progressiste pour bonnes consciences blanches ? Un « putain de quota »  ?
Femme défaite, femme à la dérive, épuisée de cette « course après le vent », la voilà qui s’arrête soudain, rattrapée par une destruction cette fois non plus seulement mentale, mais physique : les métastases qui l’envahissent, métaphore bien lisible du déni dont elle est l’objet quotidien, cancer silencieux dont elle accueille la colonisation délétère avec reconnaissance, signent, enfin, une échappée : celle d’« un retour, par bonheur, à la poussière ». Celle d’une « alternative au survivable », si « survivre, c’est participer à leur récit ».
Par-delà une critique viscérale du système de domination en place (capitaliste, raciste, misogyne jusqu’à la nausée sous couvert de « tolérance ») et de l’hégémonie culturelle qui en est l’ultime expression, Assemblage touche surtout par cette réflexion tremblée sur une identité impossible, terrain d’assignations multiples dans lesquelles le sujet tente de surnager, au risque de se perdre. Paradoxalement, c’est par ce « non » totalement irrationnel, ce « non » incompréhensible qu’elle profère au médecin qui s’acharne à vouloir la sauver, par ce refus qu’on imagine premier, que se rallume, au plus profond de l’être, une vérité intime, indiscutable, non négociable. La possibilité, radicale, de renverser la perspective et de mettre fin, par un geste désespérément politique, à sa complicité au jeu sournois des représentations et des grands mythes de la nation.

Valérie Nigdélian

Assemblage
Natasha Brown
Traduit de l’anglais par Jakuta Alikavazovic
Grasset, 160 pages, 17 

Sortie de scène Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°242 , avril 2023.
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