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Domaine étranger Rêveries décalées

mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243 | par Guillaume Contré

L’œuvre étrange et inquiétante de Silvina Ocampo est un classique de la littérature argentine qui reste mal connu en France. Nouvelle traduction.

Les Répétitions et autres nouvelles inédites

Avec son mari Bioy Casares et Borges, leur ami commun, Silvina Ocampo (1903-1993) fait partie du peloton de tête de la littérature fantastique argentine. Elle n’en était pas moins une personne réservée qui cultivait un univers très personnel et publiait relativement peu alors qu’elle n’aura jamais cessé d’écrire, et ce jusqu’à son grand âge. Les livres posthumes forment donc une part conséquente de son œuvre. Ainsi de ce volume, Les Répétitions, qui rassemble une vingtaine de nouvelles courtes et denses, bien dans sa manière, et deux brefs romans.
Plutôt que fantastiques, on pourrait qualifier ses récits d’oniriques, au sens où ils répondent à une logique aussi implacable que mystérieuse, qui ne s’encombre pas d’explications inutiles. Ils semblent se déployer comme des spirales qui tourneraient autour du surnaturel sans jamais s’y brûler les mains. Silvina Ocampo ne raconte pas des histoires de fantômes, elle préfère pousser dans leurs derniers retranchements les possibles de la réalité quand on se met à la considérer sous un drôle d’angle ou lorsque nos émotions, irraisonnables par nature, viennent la perturber. À moins qu’il ne s’agisse de conserver la puissance, parfois naïve, souvent perverse, de l’enfance.
Tout est affaire de perception, assurément, et c’est pourquoi l’amour, chez elle, ne saurait que modifier, littéralement, « les lois de la perspective » : dans la nouvelle du même nom, un homme doit trouver toutes sortes de ruses pour approcher la femme dont il est épris, car elle ne cesse de rapetisser à chaque pas qu’il fait vers elle. Ailleurs, une poupée, que certains esprits exaltés voudraient faire passer pour une sainte, écrit des lettres érotiques à un jeune garçon qui y est très attaché ; à moins qu’il n’en soit lui-même l’auteur. Un théâtre propose aux spectateurs d’expérimenter le vrai silence et la vraie obscurité, ce « qu’on avait perdu depuis longtemps ». Un pervers sexuel lie copulation et musique pour créer des êtres parfaits : « pour engendrer l’oreille, Bach était excellent ; pour engendrer la bouche, c’était Schumann ; pour le cou et les mains, Chopin ». Une femme trouve en rêve un jardin ou assiste au rêve de sa propre renaissance, mais transformée en tigre.
Impossible de savoir à quel moment nous entrons ou sortons du rêve et qui rêve quoi. Nous ne sommes plus dans les paradoxes logiques vertigineux de Borges, mais dans un songe éveillé permanent, une affabulation aussi merveilleuse qu’angoissante. C’est un monde où résonne « un bruit opaque de rideau ou de tapis qu’on déroule », où une voix peut ressembler « à l’eau qui bout à gros bouillons dans la bouilloire », où « la ligne d’horizon » peut être prolongée par « un éclat, comme il y en a parfois à l’intérieur d’un fruit ». Dans « Le voyeur », une femme morte « avait la tête penchée en arrière comme si elle buvait sa pâleur de marbre à une fontaine invisible ». L’écrivaine a eu une importante production poétique ; on retrouve cette intensité de la langue dans ses fictions, chargées d’images jusqu’à déborder.
Si l’on ne peut que se féliciter que les éditions Des Femmes aient entrepris depuis 2017 une édition exhaustive de son œuvre (après quelques livres publiés dans les années 70 et 80 chez Gallimard et Bourgois), on regrettera néanmoins que la traduction soit parfois trop proche de l’original, comme si la phrase française ne parvenait pas tout à fait à s’extirper de la gangue de la phrase espagnole, ce qui ne rend pas tout à fait justice à la beauté de l’écriture d’Ocampo.

Guillaume Contré

Les Répétitions et autres nouvelles inédites
Silvina Ocampo
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Picard
Des Femmes, 288 p., 18

Rêveries décalées Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°243 , mai 2023.
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