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Domaine étranger La malédiction des frontières

mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243 | par Catherine Simon

Aliyeh Ataei, écrivaine iranienne d’origine afghane, dit le malheur des sans-patrie et des femmes « qui ne valent rien », dans une langue éblouissante.

La Frontière des oubliés

C’est un livre sombre et dur, dégorgeant de douleurs, c’est aussi le livre d’une libération : le chant s’élève lentement, d’abord ténu et enfantin, puis, au fil des chapitres, de plus en plus sûr et articulé, jusqu’à se transformer, à la toute dernière page, en un cri lumineux de révolte. Ce cri ne s’éteint pas. Il accuse.
La plupart des événements rapportés se passent à la frontière entre l’Iran et l’Afghanistan, « cette balafre, tracée par l’Histoire sur la peau de la terre », selon le mot d’Atiq Rahimi. Le hameau où a grandi l’auteure sert tour à tour de refuge éphémère à ceux qui fuient la guerre, et de tribunal pour les parias que leur ascendance ou leurs convictions supposées condamnent. Les femmes, plus que les hommes, paient au prix fort le malheur d’être nées « dans une zone du monde où leur vie ne vaut quasiment rien », note Aliyeh Ataei, dans son avant-propos, daté du 16 novembre 2022. Elle y rend hommage, à « celles qui, ce soir même, se tiennent droites sous une pluie de balles tout en criant le mot Azaadi ».
Écrivaine et poétesse, Aliyeh Ataei a elle-même vu le jour, en 1982, du côté iranien de la frontière, dans une famille d’origine afghane, avant de s’établir à Téhéran. Elle est aussi célèbre en Iran qu’un Patrick Modiano en France. Ses livres lui ont valu des prix littéraires prestigieux, les équivalents du Goncourt. La Frontière des oubliés est le premier de ses textes traduit en français. Arrivée à Paris en début d’année, à l’occasion de la sortie de son livre, Aliyeh Ataei, « se sentant trop en danger à Téhéran où ses textes, indique Gallimard, ont été cités lors des manifestations », pourrait y rester un moment.
Paru en Iran en 2021, ce recueil se compose de neuf récits, neuf histoires de gens « oubliés » qu’Aliyeh Ataei a connus ou croisés. Une manière d’album de famille à la Goya. Le sort de sa tante Anar, comme celui de Mahboubeh, est à faire se dresser les cheveux sur la tête : une litanie de malheurs et d’atrocités. La première, follement attachée à la vie, finira la langue coupée par les talibans qui veulent « l’empêcher d’enseigner l’anglais aux enfants »  ; la seconde, détestée par sa belle-famille, trouvera un asile précaire dans le hameau du clan, avant d’en repartir et d’être tuée, en route pour l’Afghanistan, on ne sait pas où ni par qui, aux côtés de son mari et de leur enfant. Leurs cadavres sont ramenés au hameau et l’auteure, âgée de 6 ans à l’époque, épie les dépouilles par une fente du mur de la morgue. Elle voit le sang, les corps – celui de Mahboubeh sans tête : on l’a décapitée.
Longtemps, jusqu’au XVIIe siècle, l’Iran et l’Afghanistan « étaient un même territoire, une même histoire, une même langue », rappelle Atiq Rahimi. Ils sont aujourd’hui des ennemis intimes, des siamois irréconciliables. C’est cette faille qu’Aliyeh Ataei explore. Le dernier récit est un reportage littéraire : l’auteure a décidé, en 2017, de « comprendre le système de la frontière » et d’en faire la traversée aux côtés d’un passeur. « Toi et moi, nous faisons un peu le même métier. Je vends des mots et toi, tu vends la frontière », lâche-t-elle.
La culture de la guerre, dont l’auteure a été imprégnée, elle qui s’amusait à tuer les scorpions quand d’autres jouaient aux billes (« Les Ouzbeks faisaient la sieste quand les Soviétiques nous ont envahis »), l’identité blessée (terrible dialogue entre l’auteure et sa proche et si lointaine cousine Salma, dans « Deux balles se sont logées entre les mots Éditions, Impressions et Ataei »), l’universelle misogynie (« c’est à la condition des femmes que l’on mesure la santé d’une nation »)  : ce petit livre brasse large – « il met le doigt où ça fait mal », commente Sabrina Nouri, sa traductrice. Aliyeh Ataei a « le courage d’être bancale, ajoute-t-elle. Son livre est celui d’une pionnière ». Et d’une écrivaine majuscule.

Catherine Simon

La Frontière des oubliés
Aliyeh Ataei
Traduit du persan par Sabrina Nouri
Préface d’Atiq Rahimi
Gallimard, 160 pages, 18

La malédiction des frontières Par Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°243 , mai 2023.
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