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Domaine étranger Couleur de sang

mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243 | par Gilles Magniont

Autour d’Horace McCoy et de ses Romans noirs, un épais volume donne à voir la brutalité du système social et le détraquement des systèmes nerveux.

Sur un exemplaire de Gatsby le magnifique, Fitzgerald – né quelques mois avant McCoy – avait mirlitonné cette dédicace : « De Scott Fitzgerald/(Un prophète du malheur)/ Pour Horace McCoy/ (Pas un héraut du bonheur ». Pour Horace, ce fut en tout cas, entre 1897 et 1955, une vie américaine telle qu’on se la figure, et plus encore : enfant misérable, fringales d’autodidacte, boulots variés (mécanicien, taxi, représentant) ; puis aviateur héroïque dans la Grande Guerre ; et un « amour de la bagarre » qu’il confesse et qui l’anime dans le sport ou le journalisme militant ; la quête de l’argent et le goût de dilapider, une tendance à fabuler et à faire l’acteur (plusieurs rôles sur les planches, quelques figurations au cinéma), des rêves de réalisation et des contrats de scénariste. Et écrivain : de la génération d’Hammett et Faulkner, successful avec son premier roman, mais connaissant par la suite et par chez lui les déconvenues, quand le Paris littéraire et libéré le célèbre. Et c’est encore en France, dans des traductions remaniées ou inédites de Michael Belano, que Benoît Tadié présente aujourd’hui cinq de ses six romans, exhume une vingtaine de ses articles, une dizaine de ses nouvelles, dont une n’est même jamais parue en anglais.
Ça commence avec On achève bien les chevaux (They Shoot Horses, Don’t They ?, 1935). Une introduction y plante la rencontre du narrateur avec la mal nommée Gloria – « Bien habillée, elle aurait pu paraître séduisante, mais même alors, je ne l’aurais pas qualifiée de jolie » –, avant la bascule immédiate dans le concours de danse : les voilà, avec d’autres couples, participant à ce walkhaton où il s’agit de rester toujours en mouvement pour espérer gagner mille dollars, et peut-être attirer l’attention d’un ponte d’Hollywood. Quelques scènes d’une stupéfiante crudité suffisent à dire la Grande Dépression et l’exploitation capitaliste, au long de 879 heures de « danse » : dans cet « étrange théâtre de la cruauté » (Tadié) qui tient aussi de la téléréalité, McCoy dépeint un microcosme infernal où se mêlent jusqu’à la frénésie le commerce (garages ou instituts de beauté sponsorisent parfois les couples), l’industrie du cinéma (quelques stars font leur apparition dans le public), la police, les ligues de vertu… Et puis le vide : c’est-à-dire, sous les pieds gonflés des danseurs et sous la jetée du parc d’attractions, le tonnerre d’un océan qui « ne cessait de venir frapper » ; c’est-à-dire la fin que Gloria la suicidaire ne cesse de convoiter : « Je serais mieux morte et tout le reste du monde aussi, par la même occasion ».
McCoy retrouva-t-il jamais la puissance de cette brève narration ? Sa carrière se complique, les éditeurs lui demandent de revoir ses manuscrits, il vit de longues périodes de découragement ; il faut dire que son ambition déborde, et le porte vers des récits quasi expérimentaux. En témoigne sa dernière œuvre majeure, Adieu la vie, adieu l’amour… (Kiss Tomorrow Goodbye, 1948). On y retrouve le monde des premiers romans noirs – flics plus que pourris, richissime industriel occupé à écraser la grève –, mais cette réalité sociale se voit compliquée par la conscience malade du narrateur. « Je n’ai pas grandi dans un taudis, avec un père ivrogne et une mère putain »  : autrefois brillant étudiant, Ralph Cotter est échappé du bagne et prisonnier de ses démons. Bouffées de violence mêlées de libido (« je sentis sa peur, comme une bouffée de cannelle, violemment excitante »), sensations nauséeuses et « frémissement couleur de sang », arrogance détestable alternant avec des peurs paniques, remontée vers une scène primitive suffocante sous les jupes de la grand-mère : son monologue intérieur préfigure ceux des schizophrènes de Jim Thompson comme il témoigne d’une proximité avec l’existentialisme ou la psychanalyse. Cela fait peut-être beaucoup, ou trop bavard, ou trop irrégulier ; mais on peut partager l’avis du confrère et ami W.R. Burnett, qui parlait d’un « étrange roman par moments passionnant ».
Cette étrangeté est ici rendue par des traductions non expurgées, ou même des retours au manuscrit. Pour la nouvelle « Death in Hollywood », sont ainsi restitués entre crochets les passages que McCoy avait supprimés pour satisfaire son éditeur : « [A l’angle de la rue, une fille pleurait sur le torse bleu d’un marin qui secouait exagérément la tête.] Le soleil dardait par la fenêtre. Menefee s’assit dans un cône de chaleur, jouant avec son cigare noir. [Le soleil dégoulinait en une pâte dorée sur son visage et ses mains] ». Autant de notations périphériques qui signalent les audaces poétiques de cette prose, qui n’aura été normalisée qu’en vain : la nouvelle parut en 1973, bien après la mort de McCoy.

Gilles Magniont

Romans noirs
Horace McCoy
Traductions inédites et remaniées par Michael Belano
Gallimard, « Quarto », 1280 pages, 32

Couleur de sang Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°243 , mai 2023.
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