Le Glorieux et le Maudit
Si Jean Desbordes est aujourd’hui tombé dans le trou de l’oubli, ce n’est pas faute de talent ni d’héroïsme. Ce livre propose quelques pistes qui expliqueraient cet acharnement du destin. » C’est la dernière phrase du roman d’Olivier Charneux, déjà auteur d’une dizaine de livres. Qui ne connaît Jean Cocteau (1889-1963) le flamboyant, le flambeur, le flambeau de la première moitié du XXe siècle ? Mais qui se souvient de cet autre Jean, Desbordes (1906-1944), son cadet natif des Vosges, dont il partagea la vie sept ans durant ? Nouveau Radiguet pour les uns, « érotico-mystique » pour ses détracteurs (ici Jacques Maritain), tout bonnement « nouveau génie » pour son amant et mentor Cocteau, cette figure éminemment romanesque est tirée et des oubliettes de l’Histoire, et de l’ombre écrasante de Cocteau, le « glorieux » du titre. Charneux redonne vie et voix à celui qu’il voit donc comme un « maudit », qui fut un écrivain prometteur (qu’on pense seulement à J’adore, en 1928) mais aussi – surtout – un admirable résistant.
Documentation digérée à l’appui, Charneux fait le récit enlevé de la trajectoire du tandem, qui court des effervescentes années 1920 à la sombre période de la Seconde guerre. On découvrira d’abord un Desbordes attiré par le soleil de la Riviera et la lumière de ce Paris où Cocteau brille en créateur tout-terrain et caméléon. Quitte à se brûler les ailes, comme en témoigne sa toxicomanie. Toute une époque clinquante revit, Charneux excellant à portraiturer les artistes d’alors. Puis le théâtre militaire remplace celui des mondanités. Dans une seconde partie autrement plus tendue et au dénouement dramatique, Desbordes, alias Duroc, se distingue dans la Résistance en organisateur hors pair. Arrêté, torturé, il meurt sous les coups des gros bras de la Gestapo française de la rue de la Pompe. Entreprise de réhabilitation, ce livre est aussi la leçon d’indépendance d’un cœur ardent dont la mémoire mérite d’être perpétuée.
Anthony Dufraisse
Le Glorieux et le maudit
Olivier Charneux
Seuil, 270 pages, 19,50 €