Littérature et jardinage seraient-ils les deux mamelles du bonheur ? Chez Marco Martella, écrivain jardinier, c’est un bonheur qui se saisit dans la lenteur, le subtil, le modeste. Dès le titre : malgré son nom flamboyant, le myrobolan n’est que le prunier sauvage, un petit arbre qui fait des microfruits, rien d’ostentatoire… Il est le premier en fleurs « alors que les autres sont encore plongés dans le sommeil et que la campagne, prise dans le gel, est plus que jamais taciturne ». Marco Martella, qui a choisi de vivre dans la Brie, pense aux amandiers qui fleurissent joyeusement dans le Sud à la même époque, « sous un soleil plein de promesses, alors qu’ici, dans le Nord, le myrobolan parsème les bosquets de nuages blancs, semblables à de petites congrégations de fantômes pensifs ».
Dans des chapitres indépendants, qui ressemblent à des nouvelles, il emporte son lecteur au fil de partages avec des habitants du coin. On parle des végétaux des jardins, bien sûr. On croise le souvenir de Beckett, qui avait une maison à Ussy-sur-Marne, dans une jolie balade nostalgique en compagnie d’un ancien professeur de littérature qui a connu l’écrivain. Plus loin, voici l’ombre de Violet Trefusis, mondaine anglaise qui fut, dans les années 1920, la maîtresse de la romancière Vita Sackville-West.
Comment ne pas être touché par André, postier en retraite, et sa collection d’anciens outils agricoles installée dans une remise au fond de son jardin ? Et son objet préféré, un poinçon de sabotier, qui permettait de décorer les sabots de petites fleurs ou d’étoiles. Dans le manche, son propriétaire a incrusté une bague en or. « Ce n’était pas rare autrefois, dit André. Ce sabotier avait sans doute perdu son épouse et l’endroit le meilleur pour son alliance était l’outil avec lequel il peaufinait ses œuvres. Grâce à cette bague, il avait toujours sa femme près de lui. »
Le soir tombe dans le jardin. L’auteur boit du vin avec Ludovic, son vieux voisin, « en discutant de tout et de rien, et il y aurait d’autres soirées comme celle-là. En attendant, il apprenait à mourir. Ou à vivre, ce qui revient au même. » Si ce n’est pas cela, la sagesse…
Anne Kiesel
Les Fruits du myrobolan
Marco Martella
Actes Sud, 192 pages, 20 €
Domaine français À l’ombre des jardins
juin 2023 | Le Matricule des Anges n°244
| par
Anne Kiesel
Un livre
À l’ombre des jardins
Par
Anne Kiesel
Le Matricule des Anges n°244
, juin 2023.