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Égarés, oubliés Le maître de sa voie

juillet 2023 | Le Matricule des Anges n°245 | par Éric Dussert

Médecin légiste, Raoul Gaubert imagina un double qui eût pu être éminent chez les modernes. Dissection d’un amateur de trains.

C’est avec sa Contribution à l’étude de la cocaïnomanie résultant de l’usage progressif et principalement nasal de médicaments vendus dans le commerce que Raoul Gaubert a atteint à Montpellier en 1913 le titre de docteur en médecine. Il aurait eu, de nos jours, un certain succès avec son sujet, d’autant que, dans la foulée, il a obtenu le diplôme de docteur en droit avec son étude sur Les psychopathes. Historique. Réactions antisociales. Capacité pénale. Puisqu’il est alors médecin légiste (de l’université de Paris) en titre, il ne lui manquerait qu’un essai sur les cas non résolus pour devenir le père tutélaire de notre époque télévisuelle… Digne collègue de René Allendy, il signe en outre De l’homoeopathie à l’astrologie médicale (1937) quelques années plus tard. Etait décidément un moderne Astélie Vincent Eugène Esprit Raoul Gaubert, né le 7 juillet 1881 à La Roche-sur-Yon, fils du militaire à la retraite François Charles Gaston Gaubert (46 ans tout de même) et de son épouse de 34 ans, Victoire Eugénie Astélie Denaulay, sans profession.
Le jeune Raoul, au-delà de son intérêt pour les études a toujours un nez dans ses livres, qu’ils soient de droit, de médecine ou de littérature. Très tôt, il convoque ses amis autour de la table d’une feuille littéraire, La Joie de l’Heure, qui paraîtra le 1er mai 1899. Soit une dizaine de numéros poussés par le message initial du complice de Raoul, Emile des Brandières : « Va, petite feuille, avec tes paroles de rêve, incomplètes comme un écho, vagues comme une souvenance, mais écho, souvenance de la Voix qui parle dans le calme des cellules, et les soirs quand il erre avec l’Amante. » Notre aède n’est pas de reste qui, depuis le domicile familial, s’attaque aux cathédrales, où rôdent des âmes, et aux « Utopies », qui témoignent de ses ambitions : « Peu m’importe, en mourant de faim et de misère,/ Comme j’aurai vécu, poète, un de ces soirs ;/ En habit de gala je quitterai le terre/ Et n’aurai pas au fond du ventre un noir ulcère/ Comme ce gros bourgeois qui meurt en habit noir. » Le médecin a parlé…
Présent dans La Plume en 1903 et 1904, Raoul Gaubert vit d’écritures chez un agent du fisc ou de petits travaux chez un pharmacien, et publie des romans qui ne laissent pas souvenir : Jean sans terre (Sansot, 1907), Jean Plomb abandonné (s.d.) ou Le Cabaret de la poire d’angoisse (B. Grasset, 1910) dont Rachilde, cette fine mouche, dit tout ce qu’il faut penser dans le Mercure de France : « D’un ton très, trop audacieux, ce livre est cependant rempli de curieuses observations littéraires, Jean Plomb est-il un catholique du genre des adeptes de J.-K. Huysmans ou est-il simplement le dandy un brin camelot du roy essayant de se moquer de son époque pour achalander son imaginaire cabaret ? Moi, je crois que si on purgeait l’œuvre de ses fréquentes inconvenances et même si on cessait également de traduire l’Imitation de Jésus-Christ, il resterait quelques pages satiriques des plus intéressantes. » À l’évidence, Raoul n’est pas un romancier. Il le prouve plus tard en donnant Les Trains qu’a pris Jean Plomb (Albert Messein, 1911) où il touche à quelque chose de moderne sous une épigraphe empruntée à Laforgue : « Que tristes sous la pluie les trains de marchandises ». Gaubert entreprend avec ce livre de relater par le détail des moments de transports, au sens propre, qui conduisent à des transports, au figuré, ceux de ce Plomb, son double, « habitant de l’irréalité pèlerinant en ce monde » (Béliard). Sur les traces d’Oblomov, préfigurant les langueurs de Jean Dézert (1914) de La Ville de Mirmont, il donne un livre qui rencontre, cette fois, un enthousiasme plus soutenu. J.-F. Louis Merlet juge dans Propos qu’il s’agit d’une « œuvre de spiritualiste qui joue à merveille des symbolistes et des parnassiens, avec la fleur nouvelle d’un jardin fermé où naissent des sensations charmantes, originales  ».
« L’aventure une fois encor sonne la charge :/Jean Plomb met à la voile et va prendre le large ». Rimant sans aucun égard pour le vers libre, Gaubert ausculte comme un tityre les poteaux, les banquettes, l’Indicateur, le compartiment, les fanaux, les bibliothèques (des chemins de fer), la vitre, le vent et même « Les préparatifs » qu’il dédie à Han Ryner, ou « Les bifurcations » à son ami Octave Béliard qui trouvait que dès 1907 ce Jean Plomb « était déjà en retard, frère puîné des mages de Péladan, du maître Janus de Villiers, du Borluut de Rodenbach, du Durtal de Huysmans, impressionné à la fois par l’humeur fantasque de Laforgue, l’amertume de Bloy, la ferveur de Hello, l’obsession de Baudelaire et la folie solitaire de Gérard de Nerval. »
« Ainsi tu vas, ô mon romanesque Jean Plomb/ Anonyme dans ce convoi, seul tout au long/ de la voie interminable comme la vie… (…) L’homme n’est pas, malgré tout l’effort qu’il emploie,/ Dit l’Imitation, le maître de sa voie. » Sur la sienne, le convoi de Raoul Gaubert heurta ses tampons le 7 août 1948 à Paris.

Éric Dussert

Le maître de sa voie Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°245 , juillet 2023.
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