Un jour, dans une boîte à livres, le narrateur, gratte-papier à ses heures, trouve un bouquin : « Je déchiffrai le titre, en lettres capitales bleues, imprimées sur le dos mince. L’ÉTÉ, DEUX FOIS. Le nom de l’auteur et de l’éditeur en lettres capitales noires. CHRISTIAN COSTA. MINUIT. » Il ne le sait pas encore à ce moment-là, mais ce livre, on va le lui faucher. Victime d’un « vol odieux », il se met alors en quête d’un nouvel exemplaire, et cette quête lui réservera bien des surprises… Que l’auteur, Fabrice Chillet, ait planché sur le Graal pour les besoins d’une thèse (abandonnée), n’est peut-être pas pour rien dans cette histoire de recherche d’un objet devenu mythique. Car depuis la fin des années 1980, époque de la parution dudit livre de Costa, ce nom n’est murmuré que par des initiés. Double plus que probable de l’auteur, le protagoniste lancé sur les traces de ce livre-collector dont on l’a dépossédé et de celui qui l’a écrit, nous est tout de suite attachant. Vite contaminé par la passion soudaine de notre homme qui vire à l’obsession, le lecteur est ferré bel et bien, d’emblée. Cette histoire baigne dans le mystère, Chillet excellant à créer le trouble et le flou, un peu comme un photographe se refuserait à une parfaite mise au point d’une focale. C’est fascinant comme l’apparition d’un fantôme. L’effet produit sur nous par ce roman envoûtant nous a remis en mémoire l’Italien Daniele Del Giudice et son Stade de Wimblebon (tiens, encore un livre-culte), traduit la première fois en 1985. Une histoire d’écrivain spectral, là encore…
Témoin des rapports contradictoires que l’écriture et le réel entretiennent, le récit fonctionne comme une mise en abyme valant mise en mots de soi ; une manière d’autoportrait, si on veut. Comme si cette (en)quête éminemment romanesque concrétisait pour le personnage une tentation longtemps refoulée d’accéder soi-même à l’état d’écrivain en passant par la case héros de sa propre vie.

Anthony Dufraisse

N’ajouter rien
Fabrice Chillet
Bouclard, 134 pages, 19 €