Un livre

Jeudi

de Eden Levin

Editions Notabilia

Brouillon de manifeste, brèves de médias imaginaires, récit à double voix, le premier roman d’Eden Levin foisonne de procédés pour raconter l’errance idéologique d’un collectif en quête d’absolu. Les jeunes artistes engagés du groupe Jeudi ont en effet bien du mal à définir un mode d’action. Monter un spectacle, écrire un livre, faire la révolution ? Bien difficile de trancher quand chaque adepte s’investit à un niveau différent. Finalement, ce sera les trois : « On va faire mieux que du théâtre, on va faire la révolution, mais de manière artistique toujours, un livre qui soulève les masses ». Elena, qui mène la danse, en impose par sa vision énergique mais stéréotypée de la politique, façon « agit-prop soviétique des années 1920 ». Entièrement happés par l’envie de se lancer dans l’action, les personnages en oublient de définir leur adversaire. La réalité se rappelle bien vite à eux quand un autre collectif « Les Ravitailleurs », bien plus extrême, et surtout violent, décide que de clubs révolutionnaires, il ne peut en rester qu’un. S’ensuivent des bagarres de bar tragico-burlesques, une expédition punitive façon règlement de comptes entre mafieux et une poursuite en voiture endiablée sous le sifflement des balles.
Si Eden Levin pose des questions philosophiques sur l’engagement, la citoyenneté, le pouvoir ou encore les modes de consommation, il le fait toujours avec humour et distanciation. Au détour d’un passage cocasse, il convoque Dante, William Burroughs et jusqu’aux dystopiques George Orwell et Philip K. Dick pour donner corps à ses réflexions. Au bout du compte, ses Pieds Nickelés de la révolution trouvent peut-être dans leur échec une raison d’être et le véritable sens du collectif qu’ils cherchaient si avidement. Une prise de conscience qui passe par une désillusion : « Où va-t-on au-delà du geste insurrectionnel ? Il n’est pas autosuffisant, en aucun cas il ne peut être son propre but ». Une démonstration par l’exemple, ou par l’absurde, animée par la verve d’un auteur savoureusement caustique.

Franck Mannoni

Jeudi
Eden Levin
Notabilia, 336 pages, 22 €