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Essais Cézannie & Cie

octobre 2023 | Le Matricule des Anges n°247 | par Chloé Brendlé

Dans l’essai qu’elle consacre à Cézanne, dans les livres photographiques Ils restent et Une autre vie, Marie-Hélène Lafon dialogue avec les images et nous fait entrer dans son atelier mental.

Dans une autre vie j’eusse volontiers été peintre », nous disait en 2020 (Lmda N°217) l’auteure des Derniers Indiens, d’Histoire du fils, des Sources. De ses livres restent ainsi des images, souvent des gros plans : mains tressaillantes, pieds froids, dos savonné, corps lourds, crinière rousse, odeurs de terre et de confiture, « morsure de l’été », source de la Santoire, banc dans la cour – morceaux de corps et de paysages. Images-sensations. Marie-Hélène Lafon aime ses contemporains peintres (Vincent Bioulès, auquel est dédié Cézanne, Jacques Truphémus, qui a donné ses couleurs à certaines de ses couvertures de récits) et a déclaré à de nombreuses reprises, dont dans Joseph (2014), son amour pour Cézanne.
En « Haute-Cézannie », comme elle dit au début de son essai sobrement intitulé Cézanne, et sous-titré « Des toits rouges sur la mer bleue », Marie-Hélène Lafon est à la fois chez elle et ailleurs. Ailleurs car transporter l’écrivaine du pays haut, le Cantal, dans le pays provençal éblouissant, c’est un peu comme lorsque Cézanne se retrouvait malgré lui à peindre les montagnes autour du lac d’Annecy, en Haute-Savoie. Chez elle parce qu’en entrant dans l’atelier des Lauves, ou en sortant du cabanon pour rejoindre la Sainte-Victoire, la rivière de l’Arc, les sous-bois, l’écrivaine ne marche pas seulement dans les pas du grand artiste, façon visite de musée, elle éprouve le désir de paysage à sa manière, elle mélange « chantier » de peinture et « chantier » d’écriture. Ainsi la forme de son essai oscille entre plusieurs régimes et temporalités : le commentaire (notes prises par l’auteure dans les lieux et réflexions sur ces notes), le document (lettres d’époque), le récit (plongée dans la tête d’un proche de Cézanne). Comme par cercles concentriques, l’écrivaine s’approche du cœur vivant de la création et de la peinture. Elle donne à voir, on y reviendra, mais à entendre d’abord.
Pour qui a entendu la voix inimitable et contagieuse d’enthousiasme de Marie-Hélène Lafon, très conviée ces derniers mois à la radio, il devient difficile en effet voire impossible – comme pour d’autres auteurs, Olivier Cadiot par exemple – de ne pas lire ses livres avec. De sa voix de formidable passeuse, on l’entend donc dire dans l’atelier des Lauves « je ne résiste pas à l’échelle », qu’elle remarque comme le nez au milieu de la pièce, on lit des passages d’une lettre du peintre, « J’ai à travailler, toujours, non pas pour arriver au fini, qui fait l’admiration des imbéciles. », on relit « le fini, qui fait l’admiration des imbéciles », on l’écoute s’enflammer d’adjectifs à travers Gachet, le médecin et mécène, face au tableau : « Il est resté assommé devant le guéridon chantourné de sa Moderne Olympia ; le guéridon est un meuble raisonnable qui remplit son office et porte les reliefs d’une collation raisonnable, une carafe, un plateau, des fruits, mais il est aussi et surtout une créature sans nom mise à feu et à sang par le désir, prosternée, vautrée devant la chair nue de la femme offerte et refusée, répandue et ramassée sur son trône immaculé. » Et d’emmener alors son lecteur dans l’image. La romancière, toute à son art, varie les points de vue ; c’est à travers les yeux des autres qu’elle saisit le mieux des détails, le guéridon, mais aussi le « chapeau de soleil » dans le regard d’Hortense, l’épouse, la « danse » des tilleuls dans celui du jardinier Vallier (dans un très beau portrait de mots à ranger aux côtés des portraits lafontiens, celui de l’ouvrier agricole Joseph, par exemple). Même quand elle semble un peu cabotiner, parfois avec un adjectif qui revient, « carabinée », ou dans un morceau de bravoure (la Sainte-Victoire, peut-être), elle emporte notre imagination. C’est toute sa puissance de conteuse, d’ouvrir l’espace, sa manière de poète, d’être comme disait René Char, davantage celle qui inspire que celle qui est inspirée.
Deux autres livres (!) paraissent, qui font la part belle à l’image, photographique cette fois. Ils restent (Isabelle Sauvage) et Une autre vie (Lamaindonne) mêlent clichés de portraits et textes de Lafon, et gravitent autour de la figure des pères. Dans le premier, publié au printemps, le lecteur est amené à reconstituer les liens entre des pères et des fils de tous âges, saisis au travail, au sport, chez eux, ou dans des paysages de nature bretons. Le photographe Éric Courtet a choisi des images de sa série documentaire « Apparenté(e)s », à laquelle l’écrivaine est venue greffer des microfictions réalistes et poétiques. Dans la tension entre distance et proximité des poses, et dans le décalage travaillé entre les textes et les images, se glissent les émotions non-dites, tout le jeu émouvant des ressemblances et des différends. Pour Une autre vie, c’est à la fois plus simple et plus bouleversant. Ce livre qui inaugure la collection « Poursuites et ricochets », consacrée aux photographies de famille, est frontalement autobiographique. Pour la première fois, Marie-Hélène Lafon sort du placard de la fiction (voir le dernier roman Les Sources) des photos de son père, lors de son service militaire : on les voit, elle les commente. Or de ce père paysan dans le nord du Cantal, inspirant la peur et dont la peur fut le « véritable métier », ce qu’on voit – nous et elle – c’est le sourire. On est entre 1957 et 1959, pas en Algérie, au Maroc, et Jean Lafon est jardinier du colonel. Cette « autre vie » qui s’esquisse en négatif de la Cantalienne suscite la tendresse, l’humour un peu moqueur, mais aussi la gêne, l’incompréhension, une tristesse certaine. Dans une autre vie, Marie-Hélène Lafon, elle, aurait pu être peintre.

Chloé Brendlé

Marie-Hélène Lafon
Cézanne
Flammarion, 162 p., 21
Une autre vie
Lamaindonne, 52 p., 20
Ils restent
Éditions Isabelle Sauvage, 86 p., 26

Cézannie & Cie Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°247 , octobre 2023.
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