Martin Rueff, le centenaire de la naissance d’Italo Calvino est l’occasion en France de découvrir les inédits dont vous livrez la traduction : une Correspondance chez Gallimard, co-traduite avec Christophe Mileschi, et Liguries chez Nous. Vous avez établi l’édition de la Correspondance : quels étaient vos critères pour la sélection ?
L’édition italienne des Lettres, due à Luca Baranelli, est l’un des six tomes des « Meridiani ». Luca Baranelli, pour le centenaire, offre un volume riche de 1086 lettres. L’édition Gallimard en compte 315, certes un peu moins d’un tiers – mais le volume fait tout de même 800 pages, avec un riche appareil critique. Il a fallu choisir. Le résultat dépasse le projet qui était plus réduit, grâce à la bienveillance de l’éditrice de la collection « Du monde entier ».
Trois exigences s’imposaient : d’une part, permettre aux lectrices et lecteurs de se faire une idée précise de l’itinéraire de Calvino. D’autant que son image en France y est sinon offusquée du moins simplifiée par des effets de réception. En France, Calvino est le narrateur de la trilogie des Ancêtres, récits plaisants et tournés vers la jeunesse, ainsi que le formaliste agile et sans chair des Villes invisibles et de Si une nuit d’hiver un voyageur. Or Calvino naît comme écrivain après la guerre. En lisant la Correspondance, on suit l’écrivain, ses fidélités et son évolution, uniment formelle et politique. Il fallait aussi que les lecteurs mesurent combien il a aimé la littérature : la lire, l’écrire, la publier. Il eut des difficultés à s’orienter dans le métier de vivre ; il fit du métier d’écrire le cœur de sa vie. Enfin, nous avons voulu donner une idée de la palette de ses talents, humeurs et désirs. Sa correspondance avec Eugenio Scalfari est celle d’un jeune homme brillant. La vie s’ouvre devant lui. C’est bouleversant.
Ce qui donne de la « chair » à Calvino, c’est aussi son attachement et sa fascination pour sa région. S’agissant de Liguries, pourquoi le pluriel ?
Les écrivains italiens du XXe siècle se définissent par leur attachement à une terre d’origine : Pavese, les Langhes, Bassani, Ferrare et le Pô, Montale, la Ligurie, Sciascia, la Sicile, Zanzotto, la Vénétie. Quand un écrivain italien se coupe de son sol, soutenait Alfonso Berardinelli, il devient un « écrivain d’aéroport » (comme Umberto Eco).
L’œuvre d’Italo Calvino, écrivain mondial ou mondialisé, a un succès planétaire. On voudrait qu’il fût hors-sol. Plusieurs éléments ont contribué à couper les fils qui le rattachaient au monde de son enfance et son adolescence : son installation à Paris de 1967 à 1980, et surtout la légèreté de ses récits, aériens, comme suspendus. Le dernier Calvino (celui des Cosmicomics, des Villes invisibles, de Si une nuit d’hiver un voyageur) semble détaché de l’Italie. Or Calvino est un écrivain ligure. Il l’a répété à plusieurs reprises : « Je suis né à Cuba en 1923 de parents italiens. Mon père et ma mère...
Dossier
Italo Calvino
Posté de Ligurie et d’ailleurs
La Correspondance et Liguries pour découvrir un Calvino intime, son parcours, et le coin d’italie qui sa vie durant l’a inspiré. Martin Rueff, poète et philosophe, professeur de littérature française et comparée à l’Université de Genève, nous ouvre son atelier.