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Domaine français Se décomposer

juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254 | par Chloé Brendlé

Dans un roman déconcertant et envoûtant, Chloé Thomas retrace la fuite en avant d’une pianiste tout à coup dégoûtée de son art.

Par quel bout saisir ce roman ? Si l’on voulait coller à l’époque, on dirait que c’est l’histoire d’un burn-out : « Je cessai de jouer ; on me chassa. » Une talentueuse et jeune pianiste, Constance, arrête du jour au lendemain la musique. Le titre, Fredon (« air chanté à mi-voix, sans articuler les paroles », d’après le dictionnaire), à mi-chemin entre le chant et le bourdonnement, semble suggérer l’amenuisement de l’art et le repli sur soi. Mais les premières lignes du récit impriment une autre image : celle d’insectes fouissant la terre, dans la montagne. À partir de là, des « frelons » invisibles ne nous quitteront plus. Dès le début de son récit, Chloé Thomas fabrique un bizarre mélange d’ultra-contemporain (l’épuisement personnel et l’épuisement des ressources du monde), de très classique (la relation vaguement sadique d’une artiste et de sa professeure, « Madame »), et d’atemporel (les paysages génériques des contes, depuis la résidence en bord de mer jusqu’aux forêts lointaines, et des animaux omniprésents).
Revenons à Constance. C’est une narratrice peu sympathique, qui semble prendre plaisir à désamorcer la pitié que son entourage – et le lecteur – peuvent éprouver pour elle. Après avoir cessé de jouer de son instrument, elle continue un temps de jouer le jeu social et de « payer consciencieusement un loyer à l’existence » : faire semblant de participer à une résidence d’artistes, se montrer reconnaissante au couple fortuné qui l’héberge, prendre place dans un jury. Mais sa haine grandissante fait entendre la fausseté de l’empathie des autres, partagés entre fantasmes sur l’art et désir de la chute des artistes : « On venait nous voir trembler ; on venait nous voir combattre et lancer nos banderilles désespérées qui visaient toujours juste mais, s’il n’y avait pas eu la lutte, si nous n’avions pas dû chaque fois être près d’y mourir personne, personne ne nous aurait écoutés. » Ainsi l’auteure propose-t-elle un conte cruel sur les milieux artistiques ; ainsi Fredon déconstruit-il la fable de la vocation.
Pourtant, le roman ne se réduit pas à une satire. Il nous tient aussi par son mystère, suscité par l’image inaugurale des insectes (bientôt relayée par d’autres, par exemple, Sidonie « l’araignée de grange vive et poilue » qui « aimait monter guillerettement le long de mon bras jusqu’au creux de mon cou »), et par le moment insituable de l’énonciation, puisque Cons-tance raconte depuis un au-delà, « où j’avais cessé d’appartenir tout à fait à la compagnie des hommes ». La cohabitation intrigante avec les animaux est à la fois une façon de dépeindre l’animal social qu’est devenu l’artiste, dompté, domestiqué, et de tenter, pour l’héroïne, son « réensauvagement », son retour au bruit des origines. Certains passages semblent aussi nourris des visions morbides de Baudelaire (« Une charogne ») et de Lautréamont (aussi bien du côté des poux que des animaux marins).
De quel désir profond est né ce deuxième roman de Chloé Thomas, premier paru aux éditions P.O.L, après Nos lieux communs (Gallimard, 2016), qui s’intéressait à la trajectoire d’établis – ces intellectuels devenus ouvriers dans les années 1960 –, et après un essai consacré au rêve et à l’insomnie (Parce que la nuit, Rivages, 2023) ? Qu’est-ce qui a amené cette universitaire, spécialiste de Gertrude Stein, dans ces drôles de parages ? Croit-on tout à fait à l’ensauvagement libérateur de son personnage ? Peut-être une langue plus brute, au lexique moins précieux par moments, rendrait-elle mieux l’expérience extrême de Constance. Par moments, on s’agace ; mais il y a ce rythme envoûtant des phrases qui s’amplifient et s’allongent, des derniers « chapitres » au contraire plus secs et rapides, et cette espèce de lyrisme éraillé, grippé – indécidable.

Chloé Brendlé

Fredon,
de Chloé Thomas
P.O.L, 209 pages, 20

Se décomposer Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°254 , juin 2024.
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