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Domaine étranger La balançoire de la vie

juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255 | par Camille Cloarec

Presque jamais autrement, de l’Ukrainienne Maria Matios, est un somptueux condensé de passions, de traditions et de tragédies.

Presque jamais autrement

Ici, dès la conception du monde, l’homme s’était occupé de la bonne santé de sa semence, et la femme, de l’endurance de son ventre », nous prévient-on d’emblée. La famille Tcheviouk dont il va être question n’échappe pas à ces devoirs ancestraux. Krylo, le patriarche, a fait quatre enfants à sa femme Vassylyna. Ce sont à présent « quatre frères de sang », d’après le premier chapitre de l’ouvrage, quatre hommes adultes qui, en dépit de leur enfance commune, s’apprêtent à se déchirer. La rancœur et la jalousie d’Andriy le conduisent à dénoncer le benjamin, Dmytryk, qui entretient une liaison avec la voisine alors que son mari est au front. Il va également pousser à sa perte l’aîné, Pavlo, marié à la dévouée Odokia. Tandis que ses manigances diaboliques se perfectionnent, le quotidien de leur village en ce début de XXe siècle se dessine, rythmé par les fêtes, les deuils et les guerres. Tyssova Rivnia se situe en Houtsoulie, une région au carrefour des Carpates, de l’Ukraine et de la Roumanie malmenée par les occupations successives. Le fantôme des combats et des privations hante sa population. « La première fois que les Russkofs s’étaient installés dans la région, ils n’étaient restés que six dimanches, de septembre à la mi-octobre. Cela avait suffi, cependant, pour qu’ils laissent derrière eux beaucoup de colère et de larmes. »
Les trois chapitres du roman offrent des points de vue diffractés sur les lambeaux de la famille Tcheviouk. Nous découvrons, au-delà de leur univers maudit, une poignée d’êtres superbes, mélancoliques et isolés qui gravitent autour d’eux. Ainsi en va-t-il de Havrylo Dyatchouk, qui donne sa fille Petrounia (celle-là même qui entretiendra une liaison avec Dmytryk) en mariage à un riche propriétaire terrien et passera le restant de son existence à le regretter. Quant à Hrytsko Keyvan, qui seconde Andriy dans ses méfaits, il n’a pas toujours été un traître ; il a lui aussi été un mari trompé. Enfin Marynka la pieuse, jadis ardente amoureuse de Krylo, a le pouvoir de deviner l’avenir. Avec elle, nous nous initions au molfarisme, une sorcellerie propre aux Carpates susceptible de faire basculer les existences sans prévenir.
Notre perception du village s’étoffe. Plusieurs générations prennent la parole. Le décor est à la fois immuable, régi par les mêmes coutumes exactement, et bouleversant, en fonction des émotions qui le traversent. Les destinées s’entremêlent, faisant fi des époques : celles des hommes d’un côté, qui s’ils reviennent du champ de bataille y ont égaré un morceau de leur âme, et celles des femmes de l’autre, soumises à des pressions et injonctions de toutes sortes. Les pratiques occultes font partie de l’ordinaire ; les présages, croyances et maléfices qui en découlent abreuvent le texte d’une poésie cosmologique. Chaque chose semble inscrite depuis la nuit des temps et est acceptée comme telle (« c’était ainsi qu’ils vivaient, chacun avec sa vérité et son tourment »).
Les personnages de Maria Matios sont pourtant emportés dans un flot tourbillonnant de passions, de déceptions et d’impulsions qui les dépasse. L’honneur est une valeur centrale qui les écrase tous·tes. Il suffit d’une seconde (un verre percé pendant la cérémonie de mariage, un mot de trop au comptoir d’une échoppe, un coup d’œil indiscret d’un passant) pour mettre à terre des réputations bâties sur plusieurs décennies de dur labeur. Tout se sait : « La nouvelle était parvenue à l’univers entier, et à plus de monde encore, car Tyssova Rivnia était aussi longue que la langue d’une femme ! » La narration multiplie les images et les sensations ; chaque mot est pesé dans ce récit qui s’apparente à un long poème en prose. Presque jamais autrement est certes une « saga familiale », comme l’indique son sous-titre, mais il est aussi le témoignage d’un peuple menacé, pris en étau entre espoir et souffrance. Et, bien au-delà des montagnes escarpées, il parvient à englober l’expérience de la vie dans son ensemble – car il raconte ni plus ni moins ce qui « arrive aux gens non seulement dans les temps de guerre, mais en n’importe quelle année et en n’importe quelle saison, quand une moitié du monde visible est noyée dans le chagrin, et que l’autre moitié cherche à se saouler d’aventures ».

Camille Cloarec

Presque jamais autrement,
de Maria Matios
Traduit de l’ukrainien par Nikol Dziub
Les éditions Bleu et jaune, 184 p., 19,90

La balançoire de la vie Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°255 , juillet 2024.
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