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Poches La tête dans le nuage

juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255 | par Éric Dussert

Arpenteuse des cimes d’Écosse, Nan Shepherd a développé une relation singulière avec le massif des Cairngorms.

Les montagnes d’Écosse sont modestes, elles n’en sont pas moins terribles. On y meurt congelé lorsqu’on s’y égare par temps froid. Nan Shepherd (1893-1981) le savait bien. Professeure de littérature et romancière (ses fictions n’ont jamais été traduites en français), elle a suffisamment arpenté les hauteurs des Cairngorms, dans les Highlands, au nord-est de l’Écosse, pour s’en être assurée. C’est à leur propos qu’elle a rédigé plusieurs textes à la fin de la Seconde Guerre mondiale qui, réunis tardivement, ont constitué le manuscrit de La Montagne vivante en 1977. Ce livre lui a valu de devenir instantanément l’une des auteures classiques du « Nature Writing ».
Comme sa quasi-conscrite française Andrée Martignon (1888-1977), qui signait en 1930 Montagne (Lmda N°198) dans la magnifique collection « Les Livres de nature » (Stock) à propos de ses ascensions pyrénéennes, Nan Shepherd a développé une fascination singulière pour les cimes tout comme pour la marche à pied. Un engouement remarquable qui la lie à Rousseau, célébré dans le rythme même de sa marche par Céline Minard (R., Comp’act, 2004), ou plus récemment, Paolo Cognetti à la suite de Georges Navel, Nicolas Bouvier ou Slavomir Rawicz. S’il ne s’agissait pour aucun d’entre eux de localiser un quelconque Mont Analogue personnel, les plus inspirés ont su trouver autre chose que des cailloux coupants au cours de leurs pérégrinations. Nan Sheperd au premier chef. « Baissez la tête, ou mieux encore, détournez-la de ce que vous regardiez et baissez-vous, jambes écartées, jusqu’à ce que vous voyiez votre monde à l’envers. Comme il est devenu nouveau ! »
Dotée d’une attention affûtée par la fréquentation très régulière – elle semble addictive –, soucieuse de voir intérieurement et de sentir par tous les pores de son être, elle a développé une sorte de vision cubiste de ce que l’on peut nommer ses montagnes, assumant une transformation des espaces, des plans, donnant au temps tout son poids pour parvenir à observer sans les yeux. « Le premier sommet que j’ai escaladé est le Ben MacDhui (…) et de ce premier jour, je conserve deux idées. La première est que la montagne possède un intérieur. (…) La seconde (…), c’est l’intérieur d’un nuage. »
Et en laissant son corps sentir à la place de son esprit, elle connut l’épiphanie et la joie de la conscience de soi au cœur du cosmos tandis qu’elle progressait sur des pierriers dangereux. Si l’exprimer ainsi peut laisser imaginer qu’elle développait une sorte de taoïsme à la mode beatnik, elle en était loin, menant une quête ontologique assez proche de ce que développait Peter Matthiessen dans Le Léopard des neiges (Gallimard, 1983). Sans négliger les rapports de ses observations sur les perceptions avec la phénoménologie de Merleau-Ponty comme le souligne le préfacier Robert Macfarlane. « Les détails ne font pas partie de l’ensemble d’un tableau dont je suis le foyer, le foyer est partout. Rien ne se réfère à moi, la spectatrice. C’est ainsi que la Terre doit se voir elle-même. »
La Montagne vivante a plus d’un mérite, à commencer par celui de nous bercer de toponymes gaéliques, puis celui de nous jeter dans un monde de sommets courts et de pensées vives. Les Cairngorms ne sont pas les Alpes, mais « Il y pousse de la mousse, du lichen et de la laîche », et « en juin les massifs de silène acaule se couvrent de fleurs d’un rose brillant. Le pluvier et le lagopède y nichent et des sources suintent de la roche » Presque par hasard, Nan Shepherd a offert un livre plus qu’étonnant, assez poétique pour être d’une lecture délicieuse, assez descriptif pour être passionnant, assez personnel pour prendre rudement ses lecteurs à contre-pied et les pousser dans les terribles failles… de la réflexion.

Éric Dussert

La Montagne vivante,
de Nan Shepherd
Introduction de Robert Macfarlane,
Traduit de l’anglais par Marc Cholodenko,
Christian Bourgois, « Satellites », 208 p., 9,50 

La tête dans le nuage Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°255 , juillet 2024.
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