Un livre

Noyau manquant

de Anne Dujin

Editions Gallimard

Une forme de délicatesse dans la désignation, une langue qui fuit l’éclat, une écriture à la sobriété lumineuse maintenant haut l’artisanat des mots, elle parle au plus près du quotidien, la poésie d’Anne Dujin. Relevant d’un souci du monde concret, elle est une sorte d’exploration inventive du réel découvrant dans les événements ordinaires de la vie de quoi s’aventurer dans les terres de l’intranquillité, celles de la vie et de son secret « qui depuis longtemps s’échappent / entre tes doigts déliés et que chaque matin / laborieusement tu recomposes ». Une quête de signes, un entrecroisement du moi et du monde où la vie de tous les jours se mêle aux souvenirs, et l’inflexible réalité du temps qui passe au sentiment d’un manque. Une façon d’aller dans la vie qui passe par la capacité de discerner dans n’importe quel contexte l’inflexion singulière qui s’y cache.
Car cette poésie, fruit d’un art de l’attention, est traversée de tensions irrésolues avivant la nécessité de maintenir un lien vivant à l’originel, à « la boule duveteuse de souvenirs / que l’on appelle enfance ». D’où des poèmes qu’anime une émotion certaine mais tenue à distance comme pour mieux faire vibrer ce qui en elle s’allume ou distille une nostalgie désarmée sur fond d’expérience intime des rythmes saisonniers. Elle ne cherche pas à convaincre, cette parole, mais à se faire transparente à ce qu’elle nomme. « Le mur fissuré, l’éclat dans l’émail du bol / le vêtement élimé : tu les découvres / avec une tristesse mêlée de respect / Tu voudrais qu’ils tiennent ainsi, malgré la fêlure / et suivre leur exemple / les regarder servir, se laisser toucher / rester encore disponibles à la vie ».
En donnant à la réalité des bords et un fond, cette parole a les accents d’une vérité qui s’impatiente, qui réclame et qui brûle.

Richard Blin

Noyau manquant
de Anne Dujin
Gallimard, 102 pages, 17 €