C’est le dernier poème qu’il contient qui donne son titre au nouveau recueil de Pascal Commère, Garder la terre en joie. Titre trompeur, aussi éloigné de Giono que les terres ici arpentées le sont de la Provence. Et la saison de celle où chantent les cigales : « le difficile métier de l’hiver, garder/ la terre en joie ». L’hiver donc, et pas seulement celui qui vient en décembre, s’installe au cœur du recueil : l’hiver de l’homme qui sonde sa mémoire pour laisser émerger quelques souvenirs de voyages vers Berlin ou Prague, Venise ou Copenhague. On est dans ce livre, la plupart du temps, assez éloigné de la matérialité rurale, la terre et les bêtes, la pisse et la boue, que le poème remontait à la surface des pages des livres précédents. Et peut-être cela vient-il de ce qui gît au mitan du recueil, « Le Voyage de la mère », son tout dernier, celui dont on ne revient pas et qui jette l’ombre d’une absence sur tout le livre.
Dans ce poème, sensible et douloureux, le fils prend un train qui serait celui de l’errance, y retrouve le souvenir de sa mère morte, fantôme qui l’accompagne dans ses pensées (elle qui ne voyageait pas), y nourrit « le chagrin, /un brouillard qui tarde à se dissiper, les toiles/ d’araignées d’une herbe à l’autre le soir emprisonnent/ le peu de jour qui s’obstine. » C’est ce peu de jour-là que le poème habite partageant avec l’absence la pénombre qui vient ou inscrivant à l’aurore le souvenir d’un rêve étrange que l’auteur craint prémonitoire. On est dans un entre-deux, entre ailleurs et nulle part, suspendu à la fragilité des images qui témoignent d’une existence posée parmi une multitude d’autres, comme l’herbe (« n’est-elle pas plurielle à elle seule ») dont il est dit qu’elle est « la mesure à notre échelle/ d’une éternité perceptible ». Et ce poème qui précède « Le Voyage de la mère » autant qu’il l’annonce, ouvre à un questionnement métaphysique inhabituel chez Commère : « Ta maison n’est pas ta maison, elle/ ne l’a jamais été du reste, de passage/ sur la terre – l’herbe ne l’est pas moins/ qui chaque printemps se renouvelle, / semblable/ à ce qu’elle est de toute éternité – autre/ pourtant. » On retrouve, toutefois, cette attention portée par le poète à l’infime où niche notre part commune, la vie brute, originelle et modeste qu’on partagerait donc autant avec le brin d’herbe, qu’avec les bêtes qui la broutent, ou le chien errant croisé – est-ce à Venise : « Un chien court sur pattes, à deux pas, s’est arrêté, / respirant d’un corps qui n’est rien qu’à l’instant où il flaire/ sans grâce, le poil noiraud, hirsute, / la flèche de son sexe tendue, qui bientôt se rétracte/ à mesure que le souffle décroît. Le peu qu’il est/ dans le soir bas. » Le recueil ensuite part du côté de Berlin arracher à la rue un cri de femme dont l’écho renvoie à l’Histoire, à « (…) Des nombres/ à n’en plus savoir – le malheur et des nombres,/ par dizaines/ de millions acheminés vers la mort/ gazés, brûlés, ô barbarie – quelle chienne enragée/ nourrit de son lait aigre la folie humaine ? »
Vigilant sur le monde qui l’entoure le poète l’est aussi sur lui-même : « Sous quelle pierre, quel mot, s’est-elle réfugiée/ la joie ancienne, que tu ne puisses/ aujourd’hui la débusquer, en sentir le feu/ qui dévore en même temps qu’il apaise. » Le feu éteint, la braise est devenue cendre. On espère qu’ici ce n’est pas le poème qui est prémonitoire, et que ces cendres-là ne sont pas celles de l’Europe qui vient.
T. G.
Garder la terre en joie,
de Pascal Commère
Aquarelles de Djamel Meskache
Tarabuste, 131 pages, 16 €
Poésie Retour à la poussière
juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255
| par
Thierry Guichard
En posant le mot joie au fronton de son recueil, Pascal Commère n’exorcise-t-il pas le monde qui vient ? La joie comme une graine en dormance d’où renaîtra la vie.
Un livre
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Le Matricule des Anges n°255
, juillet 2024.