Dépression personnelle ou effet de la tyrannie soviétique ? Le Russe Andreï Sobol (1888-1926) réussit, après deux tentatives, son suicide. En raison de sa foi idéaliste dans la passion révolutionnaire, il connut autant le bagne tsariste que la prison communiste, et se vit bafoué par le dogme du réalisme socialiste. Il sut néanmoins réussir un étonnant roman qui tient à la fois de la satire sociale que de la collection de portraits. Ce Panopticum voit en cette édition sa couverture joliment illustrée de silhouettes sérieuses et burlesques. Moins linéaire que kaléidoscopique, ce sont en effet des figures et des saynètes observées dans un incroyable cabinet de curiosités, par allusion au panoptique de Jeremy Bentham, qui permettait de surveiller tous les prisonniers à la fois.
Au cœur de la guerre civile, dans ce qui tient du cirque et du musée, pullulent des automates et des bustes de cire, comme celui de Marie-Antoinette, un lilliputien et un géant, une « femme au cœur à droite » et un « homme à la peau sur les os »… Plus subversif encore, parmi « la communauté des anarchistes-égocentristes », un grand-père rédige « une œuvre en cinq volumes intitulée L’Homme-Centre ». Parmi ce catalogue, l’intrigue découvre Anton, un amoureux contrarié. Il s’agit bien entendu d’imaginer un monde nouveau et meilleur, voire de « détruire la machine du monde » ; mais aussi de déjouer la police politique, la tristement célèbre Tcheka, alors que la milice menace de faire fermer le « panopticum ».
Par certains aspects, Andreï Sobol prolonge la tradition fantastique et ironique de son compatriote Gogol. L’on se doute qu’un tel pandémonium doux-amer ne pouvait passer en 1922 pour un opuscule à la gloire du prolétaire léniniste, puis du valeureux travailleur soviétique. C’est en fantaisiste rebelle indécrottable qu’Andreï Sobol nous plaît.
Thierry Guinhut
Le Panopticum, d’Andreï Sobol
Traduit du russe par Fanchon Deligne,
La Baconnière, 88 pages, 15 €
Domaine étranger Le Panopticum d’Andreï Sobol
octobre 2024 | Le Matricule des Anges n°257
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Le Panopticum d’Andreï Sobol
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°257
, octobre 2024.

