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Intemporels En toute simplicité

octobre 2024 | Le Matricule des Anges n°257 | par Didier Garcia

Dans Vie de Samuel Belet, le romancier vaudois C.F. Ramuz (1878-1947) nous présente l’itinéraire d’un orphelin attachant.

Vie de Samuel Belet

Samuel Belet a 65 ans lorsqu’il décide de nous raconter ce que fut sa vie, autrement dit une existence modeste au point de pouvoir tenir tout entière dans cette phrase lapidaire : « c’est ainsi que j’ai été petit garçon, puis jeune homme, puis homme ».
Né paysan en 1840, devenu orphelin à l’âge de 15 ans, et détourné de son avenir scolaire par le cours des choses (contre lequel le protagoniste n’est vraiment pas homme à vouloir lutter), Samuel présente les unes après les autres, de manière rigoureusement chronologique, les étapes cruciales qui ont décidé de sa vie : la mort de sa mère pour commencer (il n’avait pas connu son père), puis la traversée du lac Léman (qui lui fait quitter d’un seul coup son enfance et sa terre natale, et laisser derrière lui le souvenir traumatisant de Mélanie, sa première relation amoureuse), le passage donc de la Suisse à la Savoie, puis la traversée de la France jusqu’à Paris, une parenthèse de quelques années dans la capitale, avant que la guerre de 1870 ne l’en chasse et ne le renvoie sur les routes, lesquelles le ramènent directement à Vevey et au lac Léman (un retour qui confère une parfaite structure circulaire à ce roman de formation). Il y aura encore le mariage, la paternité et les deuils, les amours étant pour lui toujours malheureuses (quand il ne s’agit pas d’infidélité, c’est la mort qui s’invite pour jouer les trouble-fêtes).
Au fil de son périple (« Il était écrit que je ne trouverais pas de sitôt le repos et que ma route devait être encore longue »), qui le fera être tour à tour domestique, clerc de notaire, maçon, charpentier, et pêcheur pour finir (Samuel Belet n’a donc vraiment rien d’un héros), nous le voyons tenter de mettre des mots sur ce qu’il éprouve. Ce qui nous vaut des phrases volontiers maladroites, mais dont la maladresse et la candeur ont toujours quelque chose de profondément poétique. Au sujet de Mélanie, par exemple, dont il tombe amoureux à 18 ans : « Quand elle s’avançait par les chemins vers vous, avec ladite robe et sa capote rose, on avait un vent frais dans tout le cœur. » Après l’infidélité de cette dernière, dont il peine à se remettre, c’est son chagrin qu’il entreprend d’évoquer : « Il s’était passé à peu près ceci (comment dire ? il faudrait que je sache expliquer ces choses, et je ne sais pas), il s’était passé à peu près ceci que, plus mon chagrin descendait en moi, comme ces objets lourds qui s’enfoncent dans l’eau, plus aussi il s’y affermissait, et à présent il faisait comme un fond à tout ce que je sentais et à tout ce que je pensais. »
Rien n’est jamais simple dans cette vie qui fait alterner les hauts et les bas avec une constance que d’aucuns jugeront peut-être excessive, bas après lesquels il ne tarde jamais trop à se relever, faisant à chaque fois le dos rond et repartant de l’avant avec toujours la même confiance en l’avenir (jamais d’amertume chez lui, jamais de ressentiment, mais une acceptation totale de ce que le présent lui apporte de bon comme de mauvais). Certains deuils restent bien sûr plus difficiles que d’autres, comme le fait de quitter cette montagne près de laquelle il a passé ses vingt premières années : « On ne peut pas s’habituer à ces regards qu’il faut toujours tenir baissés, sinon ils se perdent dans le vide, au lieu qu’avant, si haut qu’on les levât, ils trouvaient ce à quoi s’appuyer. On y sent qu’on change de nature. Il semble qu’on sorte de soi. »
Publié en 1913, Vie de Samuel Belet donne souvent l’impression d’avoir trempé ses racines dans la production littéraire du siècle précédent – il a d’ailleurs déjà les allures d’un classique, que l’on pourrait ranger par mégarde aux côtés des grands romans réalistes du XIXe siècle.
Porté par une écriture sans artifices, mise au service d’une vie pleine d’humilité, ce roman d’apprentissage (à la fois de la vie et de la ville) offre au lecteur un tel confort de lecture (la linéarité du récit y est pour beaucoup) qu’il peut en lire cent pages d’affilée sans s’en rendre compte, jusqu’à ce qu’il s’arrête sur une de ces phrases dont Ramuz a le secret et qui font la vraie saveur du récit, phrases dont on ne sait pas exactement de quoi elles sont faites mais qui retiennent soudain le regard, le contraignent à la pause, à l’image de celle-ci, qui a les accents d’une conclusion : « Chaque pas que j’ai fait a été comme quand, avec les yeux, on va d’une lettre à l’autre dans les livres ; prises séparément, elles ne sont rien, et les mots eux-mêmes ne sont rien ; on doit aller jusqu’au bout de la phrase : c’est au bout de ma route que le sens est venu. »

Didier Garcia

Vie de Samuel Belet, de C.F. Ramuz
Zoé poche, 480 pages, 14
Du même auteur, La Guêpine réédite
Derborence (214 pages, 25 )

En toute simplicité Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°257 , octobre 2024.
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