Fils de paysans, n’ayant jamais fréquenté les bancs de l’école, Luis Ernesto Valencia, dont la vie sera courte, dix ans à peine au cours de ces « bouillonnantes années soixante » qui en Colombie comme ailleurs furent prodigues en intensités avant-gardistes, intégrera la confrérie des poètes « nadaïstes » lorsque l’un d’eux le trouva endormi devant sa porte et le recueillit. Un poète enfant, donc, surnommé « le gigolo des dieux » ou « le colibri » par « les prophètes nadaïstes de tous les horizons » débarqués à Cali à l’occasion d’un festival et qui l’écoutaient, haut comme trois pommes, « improviser en rafale ses auto-présentations » avec une assurance qui laisse pantois : « J’ai commencé à écrire récemment, mais j’ai écrit plus que Tarzan pendant toute sa vie ». D’ailleurs, il entame la vingtaine de poèmes qui forment « sa minuscule œuvre complète » par ces instructions irréfutables : « Pour être poète / d’abord il faut être Tarzan / parce que si on est pas Tarzan / on peut pas être poète ». Le poète est donc un héros, une comète suspendue à la liane de ses ambitions folles et pourtant simples comme bonjour car être poète, au fond, c’est l’évidence même : « Pour être nadaïste / je n’ai pas eu besoin d’aller à Harvard / suivre des cours d’été / Il a suffi que la statue de la Liberté / baisse sa torche vers moi / pour allumer ma cigarette ».
On ne s’étonnera pas que tous aient rendu les armes face à ce lyrisme spontané et solide comme le roc (privilège de l’enfance, où l’invention est inflexible). Comme le dit Jotamario Arbeláez dans sa préface : « nous lui apprîmes tous quelque chose jusqu’à en faire une bombe à retardement ». Quand l’enfant devient poète, il finit par l’incarner avec une telle intensité que la poésie ne peut qu’exploser. Ainsi « cet enfant véloce pour qui même l’éternité fut très courte », meurt-il à 10 ans, renversé par une voiture, la fatalité préférant s’assurer qu’il ne devienne jamais adulte.
Guillaume Contré
Traduit de l’espagnol (Colombie) par Boris Monneau, Librairie La Brèche & Pierre Mainard, 80 pages, 14 €
Poésie Le Gigolo des dieux de Luis Ernesto Valencia
janvier 2025 | Le Matricule des Anges n°259
| par
Guillaume Contré
Un livre
Le Gigolo des dieux de Luis Ernesto Valencia
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°259
, janvier 2025.

