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Poches Une mauvaise herbe

avril 2025 | Le Matricule des Anges n°262 | par Jérôme Delclos

Réédition du chef-d’œuvre de Jim Thompson (1906-1977), tout en nuances… de noir. Un grand moment dostoïevskien.

Fidèle au catalogue de sa grande époque François Guérif, Rivages ressort quatre classiques de Jim Thompson, parmi lesquels celui que l’éditeur dans Du polar (Payot, 2013) signale comme le chef-d’œuvre du romancier qu’il met au sommet du genre, tout près de Dashiell Hammett. « Thompson décrit une descente dans les tréfonds de l’âme humaine comme personne n’avait osé le faire avant lui. » Patricia Osganian, dans un article qui a fait date (revue Mouvements, N° 15/16 août 2001), n’hésite pas à le comparer à Dostoïevski pour son génie à « rejouer les questions du mal et de la responsabilité ». Au reste l’Américain, un an après Nuit de fureur (Savage Night, 1953) s’essaiera à un remake de Crime et Châtiment avec A Hell Of A Woman (Une femme d’enfer, Rivages/noir, 2013).
Et il y a bien du Raskolnikov chez Carl Bigelow alias « Little Bigger », le tueur à gages de Nuit de fureur, torturé par sa conscience jusqu’au final tragique du roman : emblématique en cela des personnages de Thompson dont Manchette dans ses Chroniques disait qu’ils souffraient d’une « malédiction intérieure ». Un autre meurtrier, Lou Ford dans Le Démon dans ma peau (1952), se décrit quant à lui en empruntant à « un manuel d’agronomie » : « Une mauvaise herbe est une herbe qui n’est pas à sa place ». Autrement dit, le monde n’est pas « noir ou blanc, bon ou mauvais ». Mais ce relativisme serait seulement cynique voire nihiliste, et en tout cas désespérant, s’il n’était universellement contredit par le fait que l’homme, doté de libre-arbitre, sera toujours in fine tenu pour responsable de ses choix. Et pourtant… le « méchant » pouvait-il vraiment ne pas l’être, pouvait-il ne pas le devenir ? À la loterie de la vie, Carl a tiré un numéro perdant. Une enfance pauvre, des parents morts trop tôt, la faim, etc. Et un physique ingrat, témoin son autoportrait : « Petit homme d’aspect plutôt inoffensif, qui mesure un peu plus d’un mètre cinquante (avec des talonnettes) et pèse approximativement quarante-cinq kilos ». Avec ça tuberculeux, voyant à peine sans ses verres de contact, et portant un dentier. Ce à quoi il était destiné ? Au mieux, pompiste dans la morne station-essence de ses parents adoptifs.
Dans les premières pages, Carl pique une crise terrible dans un magasin parce que le vendeur l’ignore : il est là pour se procurer des chaussures qui le grandissent un peu, acharné qu’il est à démentir la violence de l’ordre du monde. « Cela me donnait l’impression d’être un autre homme, même si je savais que je ne faisais pas illusion ». Il a moins de 30 ans, mais à le voir discrètement cracher du sang, nous savons qu’il ne fera pas de vieux os.
S’il débarque à Cleardale, un bled sans charme de la côte Est, c’est pour un contrat : celui qu’il appelle « le Patron », une crapule maffieuse sous le costume de l’homme d’affaires respectable, le paie pour liquider le propriétaire d’une modeste pension de famille. Carl va s’y installer, séduire l’épouse de sa cible, et se découvrir touché par la servante du lieu, une pauvre étudiante infirme dont il tombe amoureux. À la pension loge aussi un gentleman affable et inquiétant, « M. Kendall » dont on ne saura qu’à la fin du roman s’il n’est que ce qu’il prétend être, ou bien lui aussi un sicaire, chargé de se débarrasser de Carl une fois son contrat honoré.
Riche en pièges narratifs, l’intrigue progresse de façon subtile vers le dénouement noir. Le génie de Thompson est de planter les protagonistes du drame comme des personnages indignes de confiance, d’où le suspense, et la paranoïa du tueur appointé. S’il se montre bel et bien, par ses actes, en exécuteur des basses œuvres, néanmoins, à le suivre dans ses humeurs, ses souvenirs d’enfance, ses tourments moraux, ses émotions de midinette au contact de la jeune infirme qui le bouleverse tant, nous doutons si nous devons le condamner ou le prendre en pitié, voire en sympathie. Qui sommes-nous pour le juger, et depuis quelle place au soleil ? « Quand le seul choix qui vous reste, c’est d’être un type bien, mais mort, ou un salaud bien vivant, vous êtes prêt à faire des heures supplémentaires pour être une parfaite ordure ». Chacun.e de nous… tout comme lui.

Jérôme Delclos

Nuit de fureur, de Jim Thompson, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Paul Gratias, Rivages/noir, 266 pages, 9

Une mauvaise herbe Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°262 , avril 2025.
LMDA papier n°262
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LMDA PDF n°262
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