Au regard de l’histoire, la littérature a toujours su s’adapter. Sous le joug des régimes totalitaires, les écrivains, se doivent de contourner les codes édictés par les autorités des Lettres. Né en 1935 en Estonie, Arvo Valton a longtemps recouru au modèle du document sociologique pour aborder les traits majeurs de l’Union sous différentes formes littéraires : roman, nouvelles, pièces de théâtre. Son ton original, mêlé d’humour et de tendre affection et sa prédilection pour portraiturer les petites choses de la vie ont fait de lui un des prosateurs les plus novateurs de la jeune génération. Avec Le Porteur de Flambeau, qui rassemble onze nouvelles, sorte d’exégèse sociale des dix commandements revus par un curieux et cauteleux opposant au centralisme démocratique, Valton rompt avec la tradition réaliste pour se présenter tel un psychanalyste clinicien au chevet de l’âme brejnevienne. Cette âme, nourrie par l’uniformité et le dogmatisme d’un demi-siècle de collectivisme, Valton va s’en servir comme le révélateur implacable, grotesque d’une société dépersonnalisée et fantasmagorique où les règles de fonctionnement dépassent parfois largement les limites de l’explicable. Le héros valtonien est un homme à part. Étranger à son monde, il se heurte frontalement à l’incompréhension générale, à l’incommunicabilité, « cette sorte d’illusion d’optique, une réalité hostile » dont il se sent la victime. Valton a l’art de pervertir les situations. Un séducteur effrayé par une femme qui se prend pour un hareng, un couple qui accepte non sans mal les allées et venues des passants au milieu de son appartement, un écologiste qui habite un foudre ; tout est bon pour faire tourner la tête à ceux qui ont l’habitude de garder le regard fixe. L’univers de Valton est un vaste fonds de commerce de farces et attrapes, pantomime criante du ravage des consciences où l’absurde teinté d’un humour dérisoire devient dès lors l’unique recours ; au salut de l’individu.
Le Porteur de Flambeau
Arvo Valton
traduit de l’estonien par Antoine Chalvin
Editions Viviane Hamy
179 pages 109 FF
Domaine étranger Un hareng dans le tonneau
novembre 1992 | Le Matricule des Anges n°1
| par
Philippe Savary
Pour s’introduire dans l’univers d’Arvo Valton, il vaut mieux passer par la cheminée que par la porte d’entrée. L’écrivain estonien nous sert ici de l’absurde au buffet froid.
Un livre
Un hareng dans le tonneau
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°1
, novembre 1992.